Esperluette | Sophie Loria

21 nuits avec Pattie

Isabelle Carré

Certains diront peut-être : « Encore Isabelle Carré !? » Il est vrai que le hasard du calendrier concentre sur quelques mois la sortie de ses derniers films. Cette fois, nous nous retrouvons pour parler de la comédie loufoque des frères Larrieu, de l’ambiance joyeuse du tournage, et de ses partenaires de jeu, Karin Viard, Denis Lavant, André Dussolier et Sergi Lopez. Un hymne à la vie et à l’humain…

Lors de notre dernière rencontre, vous m’aviez dit que vous vouliez absolument tourner avec les frères Larrieu. Qu’est-ce qui vous plaît dans leur cinéma ?

Ils ont de l’audace, de la singularité, un univers… Ils ont une vraie écriture cinématographique. Ils vous emmènent ailleurs en vous racontant de belles histoires de façon non conventionnelle. Ils proposent toujours des films décalés, différents et audacieux. Oui, je crois que c’est le terme qui les qualifie le mieux, l’audace. Et j’aime beaucoup le personnage que j’incarne, qui écoute, qui infuse et finit par se libérer dans ses sentiments, ses émotions et son désir. C’est vraiment un beau personnage de femme.

Les dialogues, particulièrement travaillés, offrent de nombreux monologues qui donnent de l’espace à l’acteur pour jouer…

Oui, cela permet à l’acteur de déployer son talent. Je pense notamment à Denis Lavant : sur le papier est écrit « un bûcheron remplit sa camionnette de bûches ». On imagine une scène sans intérêt. Lui en fait un truc dingue ! C’est là qu’on voit ce qu’un acteur peut apporter à une scène par sa personnalité. Il en fait un moment merveilleux et on pourrait le regarder des heures remplir sa camionnette de bûches ! (Rires.)

… et qui constituent aussi des tiroirs dans la narration.

Ils ont dirigé le film comme ils ont écrit leur scénario, sans rien anticiper. C’était d’ailleurs le mot d’ordre sur le plateau : ne rien anticiper. Ils m’ont beaucoup appris là-dessus. Ils avaient le titre et le début du scénario, et ils ont laissé le fil se dérouler. D’ailleurs, on sent ce tâtonnement dans le personnage d’André Dussolier, qui regroupe trois personnages finalement. L’idée leur est venue qu’il pouvait être un peu ça, et puis un peu ça… C’est en ça aussi que leur cinéma est créatif, ils prennent des risques.

Le risque réside aussi dans le sujet (la nécrophilie) et dans l’expression crue du désir féminin.

Oui, mais c’est quand même traité sur le ton comique et c’est présenté comme un jeu. C’est vraiment un film sur les fantasmes et la façon dont eux jouent avec les fantasmes des spectateurs. On est projetés dans la comédie, le thriller, le conte onirique…

A propos de l’expression du désir féminin, vous avez dû hurler de rire en donnant la réplique à Karin Viard.

Eh bien, non, pas du tout. Avant que l’on commence le tournage, je lui ai dit que j’étais très rieuse et sujette aux fous rires et elle m’a répondu qu’il ne fallait surtout pas parce qu’elle avait eu du mal à apprendre ce texte difficile et compliqué et qu’elle comptait sur moi pour rester sérieuse au contraire. Du coup, je n’ai jamais eu de fou rire. Sinon, je crois qu’on ne s’en serait pas sorties.

C’est la première fois que vous travaillez avec elle ; comment s’est passée votre rencontre ?

C’était vraiment merveilleux de l’écouter. Moi qui adore son jeu et son parcours, j’ai été une spectatrice privilégiée. Ce que je trouve merveilleux avec Karin, c’est qu’elle fait venir des images. Parce qu’au fond, quand on y pense, ce film est très pudique. Il n’y a que des mots alors qu’on a l’impression d’un film torride.

A-t-elle été gênée par la crudité de son texte ?

Non, elle n’était pas gênée parce que le texte est très littéraire. C’est du Rabelais. J’ai d’ailleurs lu dans un magazine que ce film, c’est Rabelais qui rencontre Lewis Carroll… Je suis d’accord avec cette image.

C’est surprenant de vous voir aussi libérée, et crue vous aussi dans l’expression de votre désir. On vous voit d’habitude réservée, effacée… Je crois que c’est la première fois que je vous vois dénudée.

Oh la la, non ! Quand j’étais jeune, on me demandait ça régulièrement et même au théâtre ! Mais c’est bien aussi de casser l’image. Et j’ai été heureuse de jouer avec Sergi (Lopez) parce que c’est quelqu’un de délicieux, d’extrêmement respectueux et un très bon comédien. J’avais déjà joué avec lui dans Rendez-vous avec un ange et j’étais ravie de le retrouver. Et je peux vous dire qu’on s’est beaucoup amusés en tournant cette scène et que j’ai eu de nombreux fous rires !

Vous avez également retrouvé André Dussolier.

Oui, c’est la quatrième fois que l’on joue ensemble. J’ai été sa femme dans une série pour Canal, Belle époque, sa sœur dans Cœurs de Resnais et nous nous sommes croisés sur Les Enfants du marais. On se connaît bien. Et je l’adore. Je pense notamment à la scène du récit dans le cimetière… Qu’est-ce que c’était beau à entendre ! Le tournage avait lieu en pleine nuit et il faisait vraiment froid, mais je suis restée toute la nuit sur mon petit siège à l’écouter. André pourrait lire l’annuaire, je suis fan ! Fan de sa voix et de la façon dont il distribue le texte.

Le tournage a eu lieu dans un endroit unique. Ce huis clos a-t-il contribué à l’ambiance conviviale qui se dégage du film ?

C’est ce qu’aiment faire les frères Larrieu : nous transporter dans un lieu inconnu où on perd nos repères pour se laisser surprendre par la nature, par ce qui nous est étranger, par l’ambiance qui est vraiment très proche de celle du film. En fait, le personnage de Pattie existe réellement et habite à cet endroit, dans la Montagne Noire, et presque tous les personnages sont inspirés de personnes existantes. Ce lieu est très fort. C’était comme une bulle protectrice. Nous étions tous logés dans des hameaux et on se retrouvait pour le tournage. Et puis, il y avait les fêtes de village, comme dans le film… Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

Vous avez picolé autant que dans le film ?

Il y a un côté rabelaisien, oui ! (Rires.)

Ce film est un hymne à la terre, à la vie, et à l’humain. La scène de bal, ce bal que l’on attend tout le long du film, est particulièrement chaleureuse et vivante.

Oui, c’est exactement ça. Un hymne à l’humain et à la rencontre. Sur la scène de bal, il y avait une ambiance incroyable. Je me rappelle qu’un soir, tout a disjoncté ; les musiciens ont commencé à jouer pour nous faire patienter et on s’est tous mis à danser dans le noir. On s’est lâchés, c’était génial !

Votre mari est le producteur du film. Cela implique quoi de travailler ensemble ?

En fait, c’est le quatrième film que l’on fait ensemble : il y a eu Entre ses mains d’Anne Fontaine, puis le film de Resnais, Cœurs, et la première réalisation de Laura Morante, La Cerise sur le gâteau. C’est essentiellement la joie de partager un projet et de se rendre ensemble sur le plateau le matin. Mais sinon, on n’en parle pas trop. Il n’intervient pas dans la direction d’acteurs, donc il ne me parle pas des rushes. C’est la condition pour que les réalisateurs puissent être tranquilles, et moi aussi.