A l’occasion de la sortie de son cinquième long-métrage, 9 mois ferme, Albert Dupontel était de passage à Saint-Jean-de-Luz le 24 septembre 2013.
Malgré une tournée promotionnelle effrénée, il a pris le temps de répondre à nos questions et de partager quelques réflexions sur son travail de réalisateur.
Vos films sont toujours très visuels. Votre idée de départ naît elle d’une image, d’un dialogue ou d’une situation ?
Cela dépend. J’aime beaucoup l’image, elle est très importante car elle m’aide à positionner
le décor, mais parfois c’est le texte qui vient en premier, ou bien les personnages, qu’on imagine dans des situations. C’est vraiment un mélange de plein de choses. Malheureusement, je fais plus ce que je peux que ce que je veux. Ce qui me surprend sur ce film, c’est que beaucoup de gens me parlent de «comédie »… Ce n’est pas une comédie, c’est un drame rigolo qui est perverti petit à petit vers la comédie, mais ce n’est pas mon inspiration de départ. Je ne me dis pas : « Faisons un sujet rigolo. » Les choses arrivent comme elles arrivent, et montent en puissance ; parfois ce sont des dialogues très forts, parfois des images, parfois des personnages. Au tout départ, il y a une histoire que je veux raconter sur deux personnages qui doivent se rencontrer, et après je bâtis touche par touche.
On sent dans chacune de vos réalisations que tout est extrêmement construit…
Oui, tout est très précis et travaillé, même si on a une impression de chaos. On ne met pas en scène du chaos sans le préparer. Je prends ensuite beaucoup de temps à monter, remonter le film pour arriver à ce que je veux. Le montage dure sept mois, je prends mon temps. On a souvent tendance à vouloir expédier les choses parce que le temps c’est de l’argent, mais il ne faut surtout pas. L’écriture et le montage sont les deux étapes les plus importantes.
Vous dirigez beaucoup vos acteurs ou vous laissez place à la fantaisie ?
Je fais beaucoup de répétitions avec les acteurs, ce qui me permet de réajuster le personnage au costume. Ils trouvent parfois des choses plus intéressantes que ce qui est écrit, ils apportent des idées ; je les pousse à improviser et je retravaille le scénario en fonction de leurs trouvailles. Après, sur le plateau, comme les journées sont rapides et qu’elles coûtent cher, c’est rare qu’on déborde de ce qui est prévu, sauf de temps en temps, comme l’improvisation autour du berceau. Mais globalement, c’est très préparé.
Vous dites que Sandrine Kiberlain vous a apporté beaucoup…
Au départ du projet, j’ai rencontré beaucoup d’actrices, mais ça ne fonctionnait jamais, soit parce que cela ne les intéressait pas, soit parce que ça ne collait pas, soit parce qu’elles n’étaient pas libres… Au bout de six mois de casting infructueux, j’étais prêt à abandonner quand la directrice de production m’a parlé de Sandrine, qui avait lu le script et était très désireuse de me rencontrer. Elle a accepté de passer des essais. Il a fallu que je la filme pour voir qu’elle était crédible, très juste et totalement émouvante ; je n’avais pas assez d’imagination pour le voir avant, ce qui est un peu stupide. Elle dégage beaucoup d’empathie, d’émotion et de tendresse.
Même les plans qui ne sont pas très flatteurs, elle s’en fiche, elle n’a aucun problème avec son image, elle est totalement dans sa partition. C’est très confortable de tourner avec des actrices comme elle car elle est très juste, et très rapidement très juste. Comme elle voulait vraiment faire ce film, elle a balayé les doutes que je pouvais avoir. Aujourd’hui, je ne peux pas imaginer quelqu’un d’autre dans le rôle et je suis très heureux de notre rencontre.
Qui est Ariane, le juge qu’elle incarne ?
C’est une jeune femme qui fait tout pour fuir la vie. Elle vit avec de grands principes qui lui permettent de se mettre à l’abri des émotions de l’existence. C’est facile de se réfugier dans les livres et les textes de loi, où tout est ordonné, il y a les bons d’un côté, les méchants de l’autre… Et en plus, c’est elle qui décide qui sont les bons et les méchants. Elle vit dans un monde assez virtuel, ce qui est le principe de la justice : un juge qui condamne un gamin pour avoir volé un scooter n’a lui-même, paradoxalement, jamais éprouvé enfant l’envie de voler un scooter… C’est la limite de son jugement. Elle s’est construit un univers confortable dans lequel elle s’idéalise. C’est là qu’elle va croiser ce « taré débile » qui va lui apporter des valeurs et de l’humanité, et lui permettre de se révéler à elle-même. Le personnage de Bob n’évolue pas tellement dans le film ; Ariane, elle, évolue beaucoup. Elle éprouve de la tendresse pour Bob parce qu’elle découvre chez lui une lucidité dont elle le pensait dépourvu. Cette rencontre est l’objet de mon film, et non pas la justice. Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire de ces deux êtres qui sont plus proches qu’ils ne l’imaginent. C’est une histoire improbable, certes, mais qui permet de raconter ça.
Que vous apporte le fait de jouer dans les films que vous réalisez ?
C’est tout d’abord une réelle plus-value budgétaire. Pour parler trivialement, j’ai un acteur connu gratuitement, ce qui me permet de rester dans un budget qui ne me met pas trop de pression. Et puis, le fait de jouer avec les acteurs, comme Sandrine ou Catherine Frot dans <i>Le Vilain</i>, me rapproche beaucoup d’eux et me donne de la complicité : je partage l’humilité du jeu, les erreurs, la transpiration, le bafouillage… Cette proximité permet d’obtenir beaucoup des acteurs. C’est un surcroît de travail pour moi, mais c’est très instructif, et c’est donc un plus.
Ecrivez-vous le rôle pour vous ?
Je n’ai jamais écrit pour moi. Je me dis, celui-là, il est pratique, je le connais, je pourrais le faire. Et puis ce personnage, qui est très proche de Bernie et que je manipule depuis longtemps, est une marionnette que je sors de mon tiroir et qui est pratique pour raconter mon histoire. Sous couvert d’innocence et de naïveté, il apporte beaucoup de vérité.
Dans ce film, l’intérêt est de le confronter à cette femme sophistiquée, élégante et belle qui le regarde comme un « taré débile ». Certaines scènes étaient plus réalistes au départ, je les ai refaites pour repartir dans la comédie parce que je trouvais que cela fonctionnait moins bien. Curieusement, quand j’étais dans un rapport lui enfantin/elle sérieuse, ça fonctionnait très bien et quand je voulais le rendre un peu plus mature, ça ne marchait pas.
Ariane dit au début du film : « Pour échapper aux autres, il faut faire comme eux. » Pouvez-vous nous expliquer cette idée ?
C’est une question que je me suis souvent posée. Soit vous vous marginalisez et on vous tombe dessus, soit vous faites comme tout le monde et on vous fiche la paix. C’est vrai que parfois les autres me font peur… Il y a des gens qui arrivent à être en société sans forcément y être, et c’est ce que fait Ariane, elle se faufile. Quand on ne veut pas être emmerdé, on se planque parmi les autres. Il ne faut pas montrer ses aspérités. Me concernant, je veux être connu pour ce que je fais, non pour ce que je parais. Je préfère qu’on m’oublie et qu’on voie le film. La nuance est dure à trouver, surtout en ce moment de promotion qui me met en lumière, alors que je n’ai pas envie d’y être… L’être vraiment doué socialement arrive à se fondre dans la masse sans problème. Ce qui est très difficile pour moi.
C’est cela que vous appelez votre « cage mentale » ?
La cage mentale, ce sont les thèmes récurrents ‒ l’enfance, la famille, les bébés ‒ autour desquels je tourne sans cesse, ce qui n’empêche pas d’être relativement intéressant et de faire partager ses émotions aux gens. Ce sont des sources d’inspiration. On fait toujours le même film en fait. Ce qui est touchant, c’est qu’à chaque fois je me dis que ça va être différent et, à l’arrivée, c’est pareil. Mais tant que cela m’inspire, pourquoi s’en priver ?
Dans chacun de vos films, le fond est très sérieux mais la mise en scène est drôle.
Je n’ose pas faire simple. Depardon et Ken Loach sont des gens qui osent faire simple, c’est une vraie force. Faire le guignol est-il une marque d’impuissance ? C’est ce que je me dis dans mes moments de lucidité, mais c’est plus fort que moi, une fois que l’histoire est posée ‒ laborieusement ‒, je la pervertis. La meilleure manière d’exorciser le drame, c’est d’ironiser. Pas de se moquer, mais de le traiter avec humour. Je ne me moque d’aucun personnage, ils me touchent tous et c’est pourquoi je prends des acteurs formidables et que j’aime beaucoup, mais je prends du recul. L’humour est pratique pour ça.
Dans sa plaidoirie, l’avocat de Bob dit de lui que c’est un « grand enfant ». Si l’on se réfère à la loufoquerie de vos films, pourrait-on dire la même chose de vous ?
Je suis tout sauf un enfant, malheureusement. Depuis l’enfance, je suis trop vieux, c’est pourquoi j’ai parfois des grandes poussées d’immaturité, notamment par rapport aux autres, mais je n’ai jamais eu d’insouciance. Or, l’enfant doit être insouciant. Quand on grandit, on perd cette insouciance. Les plus grands acteurs sont ceux qui ont gardé cette part d’enfance. Je pense que dans ce métier, la vraie réussite est d’être insouciant. Les acteurs populaires que j’aime comme Jean-Paul Belmondo ou Jean (Dujardin, ndlr) sont des acteurs insouciants pour qui demain est un autre jour. Moi, je ne profite pas du présent parce que le passé est une plaie et le futur une angoisse totale. Mes personnages sont souvent dans l’enfance, mais moi pas du tout.
Je suis tout sauf un enfant, malheureusement. Depuis l’enfance, je suis trop vieux, c’est pourquoi j’ai parfois des grandes poussées d’immaturité, notamment par rapport aux autres, mais je n’ai jamais eu d’insouciance. Or, l’enfant doit être insouciant. Quand on grandit, on perd cette insouciance. Les plus grands acteurs sont ceux qui ont gardé cette part d’enfance. Je pense que dans ce métier, la vraie réussite est d’être insouciant. Les acteurs populaires que j’aime comme Jean-Paul Belmondo ou Jean (Dujardin, ndlr) sont des acteurs insouciants pour qui demain est un autre jour. Moi, je ne profite pas du présent parce que le passé est une plaie et le futur une angoisse totale. Mes personnages sont souvent dans l’enfance, mais moi pas du tout.
Vos héros sont souvent des enfants abandonnés.
C’est vrai, alors que j’ai eu une enfance très chouette. Je ne sais pas d’où ça vient. Je ne cherche pas l’analyser, c’est comme ça, c’est une source qui m’inspire.
Vous avez commencé par l’écriture de sketches, vous réalisez aujourd’hui votre cinquième film. Pourriez-vous un jour vous consacrer à l’écriture, d’un roman par exemple ?
Non, je ne suis absolument pas auteur, je n’arrive pas à écrire et j’ai beaucoup d’admiration pour les écrivains. J’ai une fascination pour Balzac, Simenon… Comment font-ils pour écrire aussi vite, aussi bien ? C’est un miracle. Je pense que le vrai auteur est prolixe. Moi, je suis très lent, je me pose dix mille questions, je recommence, c’est très laborieux. En fait, je fuis l’écriture. Je prends des notes et me sauve faire autre chose, même si je pense sans arrêt à mon sujet. Pour ce film, je me suis vraiment enfermé pour écrire. C’est une mécanique qui est difficile. Les grands auteurs ont accès à eux très facilement et n’ont pas d’inhibition interne.
Pour terminer, pouvez-vous nous dire un mot de l’affiche ?
C’est une affiche de Laurent Lufroy, un des plus grands affichistes français, qui a dessiné plus de sept cents affiches, dont celle d’Amélie Poulain. Elle est à la fois gonflée et originale, parce que contrairement à la plupart des affiches de films, elle ne met pas avant la photo des acteurs, et que le dessin peut faire penser à un film pour enfants. Elle est aussi élégante. On verra bien si elle nous porte bonheur…