Avec son sixième film, Valérie Lemercier surprend le spectateur en incarnant la chanteuse Céline Dion. Si l’humour, intrinsèque à la réalisatrice comme à la chanteuse canadienne, parsème le film, c’est avant tout l’histoire d’un amour infini entre un manager et la chanteuse dont il gère la carrière, et la solitude de l’artiste devenue star internationale.
Le perfectionnisme de Valérie Lemercier est à son apogée dans cette réalisation ciselée et brillante. Il aura fallu patienter un an pour voir enfin Aline sortir en salle, mais assurément, la qualité de la réalisation, ainsi que le plaisir et l’émotion ressentis combleront généreusement cette longue attente.
Votre sixième réalisation, extrêmement ambitieuse dans son sujet et dans sa production, évoque la carrière extraordinaire de Céline Dion. C’est parce que vous êtes une fan que vous avez voulu faire un film sur elle ?
Ce n’est pas comme ça que cela a commencé. En réalité, je suis devenue fan. Certes, j’aimais beaucoup la chanteuse, mais je ne connaissais pas toutes ses chansons, j’écoutais essentiellement les albums en français, de Jean-Jacques Goldman. Et je ne connaissais pas sa vie, ce destin incroyable, cet amour-là… Cela a été passionnant de se plonger là-dedans. Les obsèques de René ont été le départ de ce projet. Voir cette femme se retrouvant seule, ses premiers pas sans lui… cela m’a touchée. Lors d’une interview pour la promotion de Marie-Francine, j’ai lancé comme une boutade que j’allais faire un film sur Céline Dion. Et le soir même, la chef déco qui avait travaillé sur Marie-Francine m’a appelée en me disant : « Je veux le faire ! » Alors je me suis dit que si quelqu’un voulait le faire, peut-être que quelqu’un voudrait le voir…
Comment avez-vous abordé ce projet ?
Je me suis vraiment plongée jour et nuit sur tout ce que j’ai pu voir et lire, sur Céline Dion, mais aussi sur le Québec, sur les chanteurs québécois. J’ai été happée par la mentalité québécoise, l’esprit de famille. J’ai d’abord écrit seule, puis avec Brigitte Buc avec qui j’avais écrit Palais royal. Et trois ans se sont passés pour pouvoir vous le présenter aujourd’hui.
C’est une réalisation qui a nécessité beaucoup de moyens techniques.
Heureusement qu’on était un peu inconscients parce que c’était vraiment un très gros film. Je n’ai jamais eu un film aussi lourd sur le dos. On a tourné dans quatre pays, avec beaucoup de décors, beaucoup de changements d’âge, de costumes, de chorégraphies… Les effets spéciaux ont également été très importants (ils ont mobilisé vingt personnes pendant sept mois) sur la modification physique à travers les âges ‒ car c’est bien moi qui incarne Céline enfant et adolescente ‒ avec rétrécissement du corps, grossissement de la tête, changement des proportions en fonction des âges…
À l’exception de Jean-Noël Brouté et Stephan Wojtowicz, le casting est uniquement québécois.
À partir du moment où cela se passe au Québec, je voulais n’être entourée que de Québécois ‒ ce qui a été difficile à faire accepter par les chaînes productrices. Il aurait été ridicule ou artificiel de demander à des acteurs français d’imiter l’accent canadien (les Dion sont quatorze enfants, vous imaginez !). Et puis, cela apportait un certain exotisme, dans la façon d’être et la façon de parler, proche du français mais différente… C’est ce qui m’a plu. J’ai découvert Sylvain Marcel (qui joue Guy-Claude) en faisant des recherches sur internet. Il est venu passer des essais et la connexion s’est faite très vite. Pour trouver l’actrice qui incarnerait la mère, je suis allée à Montréal. Danielle Fichaud est une actrice incroyable, c’est une grande prof de théâtre à Montréal, et elle m’a beaucoup aidée dans le jeu… C’était vraiment super de jouer avec elle.
Le plaisir du jeu a certainement été multiplié par le changement d’époques, puisque l’on traverse quarante ans, et les looks qui caractérisent chacune des décennies.
Je pense que c’est pour ça que tout le monde s’est engouffré dans ce projet avec plaisir, qu’il s’agisse des décorateurs, des coiffeurs ou des costumiers. À l’exception de la robe de mariée et de celle de la cérémonie des Oscars dont la costumière s’est inspirée, les autres costumes ont été imaginés, « à la manière de ».
Une autre difficulté s’ajoutait pour vous ‒ un plaisir aussi, on le sait, car on connaît votre amour de la danse ‒, c’est la prestation physique.
J’ai passé des heures à regarder ses concerts pour attraper sa gestuelle, ses mimiques, et j’ai énormément travaillé les chorégraphies avec les danseurs.
Vous ne vous êtes pas essayée au chant, en revanche.
Non. C’est Victoria Sio qui interprète tous les titres que l’on entend dans le film (et non Céline Dion, comme certains pourront peut-être le croire).
On n’est pas dans une exhaustivité du répertoire de Céline Dion, la BO n’est pas un best of, mais plutôt quelques titres qui renvoient à une époque ou qui guident la narration.
Oui, et il y a plusieurs titres, notamment des chansons du Québec qui sont très importantes là-bas, et que l’on ne connaît pas ici. Je suis contente de les faire découvrir.
C’est l’histoire d’un amour immense entre un manager et sa chanteuse, mais c’est aussi l’histoire d’une grande solitude.
À mon niveau, nettement inférieur à celui de Céline, j’ai passé trente ans de ma vie sur scène, et je sais en effet ce que c’est que passer ses repas devant un miroir. Une loge, c’est une loge, c’est moche, quel que soit le prestige du lieu où l’on se produit. Je sais ce que c’est de devoir être en forme, de ne pas annuler, de remplir les salles. À la différence de Céline, moi ce sont des petites salles. Mais la solitude quand on sort de scène est la même, que l’on joue devant cinquante ou cinquante mille personnes, je pense.
Avec le constat terrible de cette célébrité recherchée depuis l’enfance, qui à son apogée, semble la déposséder d’elle-même, alors qu’elle aimerait simplement s’occuper de son enfant.
C’est la volonté des trois, Céline, sa mère et René, qui a fait de cette enfant non désirée la plus grande star du monde. En effet, sa maternité l’a comblée, et je pense qu’elle aspirait à rester avec son fils. Mais il ne faut pas perdre de vue que le théâtre de Vegas a été construit pour elle, avec un gros investissement financier, un écran gigantesque… c’était une folie. Et elle a été obligée de produire parce qu’ils s’étaient endettés pour ce show. Elle est restée seize ans à Vegas, avec pour seul horizon la maison et le théâtre… Cela paraît fou. C’est aussi cette démesure qui m’a plu.
Avez-vous rencontré Céline Dion ?
Non, jamais, mais j’ai passé trois ans avec elle !
Lui avez-vous fait savoir que vous prépariez un film sur sa carrière ?
Elle est au courant et elle a envie de le voir. J’ai hâte, j’espère ne pas l’avoir trahie.
Interview réalisée en septembre 2020