Pour présenter son nouveau film, qui traite avec humour et émotion des difficultés d’organisation que génèrent les familles recomposées, Gabriel Julien-Laferrière était accompagné d’une partie de ses parents inconséquents. La famille nombreuse a aussi ses bons côtés : rencontre chaleureuse et rires multipliés par quatre.
Votre film, bien qu’étant choral, ne tombe pas dans le piège du film à sketches. Ici, ce sont les enfants qui mènent l’histoire en créant le lien et en lui insufflant son rythme.
Gabriel Julien-Laferrière. Ce sont effectivement les enfants qui pilotent l’histoire, le scénario était écrit dans ce sens et les acteurs adultes se sont coulés dedans avec plaisir.
Chantal Ladesou. Dis que les adultes sont formidables !
GJ-L. C’est vrai. Mais ils ont dû être à la hauteur des enfants, c’était l’enjeu.
Thierry Neuvic. Ce sont eux qui ont donné le ton. D’une certaine manière, ils nous ont reçus chez eux puisqu’ils avaient déjà commencé à tourner depuis un petit bout de temps lorsque nous sommes arrivés. La première scène que nous avons tournée ensemble est celle de la confrontation enfants/adultes.
GJ-L. Je voulais que le groupe des enfants fonctionne, c’était ma plus grosse inquiétude. On a donc commencé par travailler avec eux. Cela correspondait en plus au début du film et aux vacances scolaires (pour pouvoir tourner dans les lycées). C’est vrai que c’était leur tournage : ils étaient là tous les jours, l’équipe les connaissait par cœur, ils connaissaient le plateau… Ils étaient chez eux. On savait, dès la lecture du scénario, que l’histoire prendrait si les enfants emmenaient le truc, il fallait donc qu’on se mette tous ‒ moi y compris ‒ à leur service, et s’il fallait faire cinquante prises sur un gosse, on faisait les cinquante, même s’il ne restait qu’une minute pour les adultes.
Le film est véritablement écrit de leur point de vue, et ce sont eux qui sont mis en avant.
GJ-L. Cela faisait partie de la réflexion au scénario, au tournage et au montage : d’abord lier les histoires. Par rapport à ce que vous dites du risque de sketch, j’ai ajouté les enfants dans des scènes où ils n’étaient pas prévus.
CL. Il y avait aussi quelque chose de très familial. Quand j’arrivais dans cet appartement, j’avais l’impression d’arriver dans une famille et de faire partie de cette famille. Il y avait une chaleur humaine entre enfants et adultes.
Vous avez déjà mis en scène des enfants. La direction d’enfants implique-t-elle une approche différente ?
GJ-L. Je ne saurais dire. Chantal Ladessou est un grand enfant, donc ce n’est pas immensément différent (rires).
CL Les enfants sont très réceptifs tout de suite, ils ont un instinct. J’avais en face de moi des comédiens très responsables.
Vous étiez inquiète de jouer avec des enfants ?
Chantal Ladessou. Pas du tout. Je me suis tout de suite très bien entendue avec eux, et cela s’est fait très naturellement.
Gabriel Julien-Laferrière. Les enfants jouent vraiment, et j’aime jouer avec eux. Si tout le monde est dans la bonne énergie, l’écoute, le plaisir d’être, les scènes partent. La difficulté avec les enfants, c’est de les forcer à faire certaines choses ; quand ils n’ont pas envie, ils n’ont pas envie.
Ils avaient déjà une expérience cinématographique ?
GJ-L. Lilian joue dans Fais pas ci, fais pas ça ; le fils de Claudia avait fait Le Roi lion quand il avait douze ans, c’est-à-dire une cinquantaine de représentations mêlant jeu, chant et danse, ce qui n’est pas rien. Les trois filles font toutes les trois du théâtre ; Bastien, qui a le rôle principal, a lui très peu tourné. Quant au petit Sadio, il a été découvert dans un casting de rue.
Comment s’est passé le casting d’adultes ?
GJ-L. Une fois qu’on a trouvé les enfants, il faut que les parents correspondent. On a quelques idées et puis il y a la magie de la rencontre. Là, les rencontres se sont très bien passées, les plannings correspondaient et les choses se sont magnifiquement imbriquées.
Les rôles étaient clairement attribués dès le départ, ou y a-t-il eu quelques ajustements à la suite de ces rencontres et à la découverte des personnalités de chacun ?
TN. Moi, je voulais faire la grand-mère, mais il n’a pas voulu !
Claudia Tagbo. On était plusieurs à vouloir faire la grand-mère, mais quand on nous a dit que c’était Chantal Ladessou, je me suis inclinée.
CL. Tu pouvais pas rivaliser. (Rires.)
GJ-L. Les choses se font dans un certain ordre, et puis il y a la rencontre. Je ne connaissais pas Chantal, je ne connaissais pas Thierry. La première qui m’a dit oui était Julie Gayet, et l’on a construit la famille au fur et à mesure. Mais il n’y a pas eu d’hésitation sur la distribution. Ce qui était primordial, c’était de ne pas avoir d’ego envahissant. C’est la première fois que je réalise un film choral, et c’est l’écueil à éviter, il faut jouer collectif. Lors des rencontres et des échanges, on sent aussi cela. Un acteur chiant rendrait tout difficile.
TN. Un acteur chiant se serait vite rendu compte que c’est pas comme ça que ça marche.
CL. Tu es déjà tombé sur des acteurs avec un ego démesuré ?
GJ-L. Pas en tant que réalisateur, mais comme assistant oui. Peut-être pas démesuré, mais où l’ego devient en tout cas un paramètre à gérer.
L’appartement a également un rôle primordial. C’est un lieu en mouvement, qui se transforme et s’éclaire au fil de l’histoire.
CL. C’est vrai qu’il y a une lumière particulière dans cet appartement, tu as fait un boulot énorme.
GJ-L. On démarre d’un lieu sombre, fantomatique, qui correspond à la vision des enfants face à l’inconnu. Je me rappelle des appartements de grands-mères quand j’étais petit, sombres, poussiéreux, mystérieux avec des objets d’un autre temps.
Si votre film est une comédie où l’on rit beaucoup, il s’ouvre tout de même sur un état des lieux catastrophique du taux de divorces en France…
GJ-L. Le film parle d’un vrai sujet et de vraies peines pour les enfants, dont il vont réussir toutefois à faire quelque chose de positif. J’aime tourner des histoires auxquelles je crois, et j’ai besoin de l’émotion. Je ne saurais pas faire un film qui ne parle de rien et qui ne propose que de la vanne. J’aime les films où il y a du rire et des larmes, et je pense que l’émotion amène un rire plus fort.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter le rôle ?
CL. C’est la rencontre avec Gabriel, qui était venu me voir au théâtre. J’ai tout de suite accepté parce que le rôle était amusant à faire et m’a enthousiasmée.
GJ-L. Il faut que je vous raconte. Je suis effectivement allé voir Chantal au théâtre et je n’ai rien compris à ce qu’elle disait durant une heure et demie. Dans les loges, je lui ai évidemment dit que je l’avais trouvée formidable. Elle me dit à son tour qu’elle a adoré le scénario et qu’elle accepte le rôle. Elle m’a avouée plus tard qu’elle n’avait jamais lu le scénario… En fait, pour notre première rencontre, on s’est menti tous les deux (rires) !
CL. Je lui ai fait confiance parce que j’avais bien aimé Neuilly sa mère.
CT. Moi j’avais déjà travaillé avec Gabriel sur une série, je connaissais sa façon de diriger et j’étais en confiance.
GJ-L. Claudia est gentille, parce que son rôle était vraiment petit au scénario et qu’elle a quand même accepté de venir. J’ai réécrit un peu et elle a eu plein d’idées d’impro qui ont étoffé le personnage.
CT. Je viens du théâtre, où on est là pour raconter des histoires, pour faire vivre quelque chose ‒ je n’ai pas encore été beaucoup sollicitée par le cinéma, ce qui ne saurait tarder grâce à cette interview (rires). Au théâtre, même si on ne te voit pas, tu as participé à un truc. Je suis dans cet état d’esprit. Et puis, j’étais également heureuse de rencontrer les autres acteurs.
TN. Moi, c’est le sujet qui m’a attiré. Je suis sensible aux enfants qui vivent des histoires compliquées, j’ai fait pas mal de papas seuls avec des enfants. Comme vous l’avez dit, j’avais peur moi aussi du film choral, mais Gabriel m’a expliqué son projet et ce qu’il voulait faire, et puis il y a eu la lecture où tout a sonné tout de suite très bien.
GJ-L. La lecture est un moment incroyable où l’on voit les complicités se construire.
TN. Et puis la distribution est étonnante, pas déjà vue. Le mélange de caractères est intéressant. J’étais content aussi de ça.
C’est vrai que vous réunissez des acteurs avec des psychologies à la fois différentes et marquées.
GJ-L. Et des gens qui ne viennent pas du même cinéma.
On découvre Philippe Catherine.
CL. Il est bien, hein ?
GJ-L. Dans le rôle du mec que personne ne regarde, c’est quand même génial ! (Rires.) Il y a une chose importante, c’est la générosité. Dix-huit acteurs sur le plateau, je ne peux pas m’occuper de tout le monde. Je me suis occupé des enfants, considérant les adultes comme des partenaires. C’est en quoi l’acteur doit être disponible, et pas tourné sur lui-même.
CL. Gabriel sait exactement ce qu’il veut, c’est bien et c’est reposant, par rapport à d’autres metteurs en scène qui ne savent pas trop et qui tâtonnent.
TN. C’est vrai, c’était un tournage reposant. Enfin, peut-être pas pour toi…
GJ-L. Non !!! (Rires.)
TN. Je veux dire que ce n’était pas fatigant, comme le nombre de personnes et d’enfants qui courent partout pouvait le laisser envisager.
Quelle a été la durée du tournage ?
GJ-L. Quarante jours, ce qui est court, surtout avec les horaires de travail limités des enfants.
CL. C’était très confortable avec les loges en bas.
GJ-L. Ma longue expérience d’assistant réalisateur m’a permis de m’aguerrir en logistique, donc je voulais absolument un appartement où il y ait la même superficie en backstage. En fait, il y avait trois appartements de trois cents mètres carrés dans le même immeuble : un appartement pour tourner, un pour le matériel et un pour les loges, maquillage, coiffure et école pour les enfants. Du coup, c’est comme un studio, c’est compact et cela permet de gagner du temps.
TN. De l’énergie aussi. Quand tu es dans une caravane, tu t’isoles. Là, on était au milieu de l’équipe tout le temps. J’aime traîner sur le plateau, c’est le meilleur endroit, tu sens ce qui se passe, tu peux faire des ajustements.
CL. Un jour, j’étais sur le plateau alors que je ne tournais pas et je me suis retrouvée dans le champ. J’ai entendu : « Ladesou, on te voit, alors tu te casses ! » (Rires.)
Ce qui a de joli également, c’est de voir ces adultes se détendre et retrouver le plaisir du jeu. Je pense à Julie Gayet qui fait un karaoké avec sa sœur, à vous également qui chantez dans votre bain. C’est inné chez vous le chant ?
CL. C’est jamais trop tard, tu sais. Je connais des gens à The Voice si tu veux !