Esperluette | Sophie Loria

Collection Quasar. Pour que rayonne l'art

« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. » Ce n’est pas la famille Lesgourgues qui démentira André Malraux. Quasar, fonds de dotation créé en 2016, a pour volonté de partager avec le plus grand nombre sa collection de 1 400 œuvres.

Le directeur de Quasar, Emmanuel Lesgourgues, lui-même artiste plasticien, nous parle de la collection, de sa valeur pédagogique et des perspectives que laisse entrevoir le secteur public. 

Naissance d’une collection

Mes parents, qui sont des amateurs d’art, collectionnaient des postmodernes, des géométriques abstraits des années 1950, de la peinture classique… En 1981, ils se sont dit qu’ils passaient à côté de l’art qui se produisait de leur temps. Ils ont donc décidé de constituer une collection de la création française en peinture et sculpture des vingt dernières années du siècle. Ils ont fait le choix de ces médias traditionnels parce que ce sont ceux qu’ils collectionnaient déjà et qui leur étaient donc plus accessibles. Comme ils avaient peu de connaissances de la production contemporaine, ils ont fait appel à l’artiste plasticien Stéphane Hazera pour les accompagner. 

Mon père a sillonné la France pour visiter les ateliers d’artistes. Cette démarche était essentielle à ses yeux car il voulait non seulement comprendre le cheminement des artistes, mais aussi créer des liens avec eux. Il avait besoin de l’épanouissement de la relation et de la compréhension du processus créatif. L’objectif de la collection était de suivre ces artistes sur vingt ans et de s’intéresser à l’évolution de leur travail, qu’il s’agisse de jeunes artistes ou d’artistes confirmés. 

Le choix des artistes qui allaient entrer dans la collection se faisait au coup de cœur. En rencontrant les artistes dans leur espace de création, mon père voyait ce qu’il se passait, qui ils étaient. La première approche était purement émotionnelle et esthétique. La seule règle imposée à l’acquisition d’une œuvre était que lui et Stéphane Hazera soient tous les deux d’accord, ce qui les poussait à développer leur argumentation et leur réflexion sur les œuvres. 

En 2000, la collection constituée réunit 92 artistes et 800 œuvres. Mon père décide alors de la faire tourner, en organisant chaque année deux expositions thématiques dont il confie le commissariat à des artistes ou des conservateurs de musée.

Partager la collection avec un large public : constitution d’un fonds de dotation

Avec mes frères et sœurs, nous avons réfléchi à l’avenir de ce patrimoine, et nous avons décidé de le conserver collectivement et dans son intégralité. Dans cette optique, nous avons décidé de créer, en 2016, un fonds de dotation, qui nous permet de garder la direction de la collection tout en l’offrant à l’Etat. Le conseil d’administration est purement familial (les cinq enfants et nos parents). C’était essentiel pour nous car nous souhaitions continuer à vivre avec cette collection. Elle incarne la passion de nos parents pour l’art, leur recherche et les liens forts qu’ils ont tissés avec les artistes. La collection n’a jamais eu de fonction spéculative, mon père n’ayant jamais revendu une œuvre ni choisi les artistes en fonction de leur cote. Nous, les cinq enfants, n’avons donc jamais appréhendé la collection sous un aspect financier, mais uniquement affectif.

Etant très attachés à cette collection, nous souhaitons la partager avec le plus grand nombre, ce que permettent les lieux de diffusion publics. Cette visibilité compense les contraintes liées au fonds de dotation. En effet, nous continuons à financer la collection à 100 % même si nous l’avons donnée à l’Etat, et nous devons justifier de notre légitimité à la diriger en fournissant les bilans annuels. L’Etat a un droit de regard sur la gestion et les actions menées car il faut prouver l’intérêt de conserver cette collection. Cela nous implique fortement, autant que l’Etat qui nous suit et nous accorde cette confiance. Le fonds de dotation n’a pas le droit de recevoir de subventions, mais il y a possibilité de défiscaliser les dons. 

En plus de nous ouvrir les portes de lieux d’exposition publics, le fonds de dotation nous permet d’offrir à l’espace public des œuvres qui pourraient difficilement y être implantées autrement. À titre d’exemple, pour l’exposition Quasar – la collection au musée des Beaux-Arts de Pau, l’artiste Bernard Pagès nous a donné une sculpture que nous avons prêtée à la Ville de Pau pour dix ans.

Une collection vivante et didactique

Je reçois beaucoup de dons parce que les artistes souhaitent augmenter leur représentativité au sein de la collection. C’est très intéressant pour la collection qui, bien qu’arrêtée en 2000, continue de suivre la démarche créatrice des artistes qui la constituent. On va ainsi arriver à 1 400 œuvres. Il y a également ceux qui font don de leur production à leur mort, pour que leur œuvre continue à exister et à être montrée.

La collection a une valeur historique, parce qu’elle présente la création des années 1980 et 1990 ‒ même si 90 % des artistes sont toujours vivants et 85 % ont encore une pratique. Elle se situe à un moment de l’histoire de l’art où les critiques disent que la peinture est morte sous l’influence des mouvements d’art conceptuel ou minimal. Beaucoup ont estimé que la peinture n’avait plus sa place dans le spectre artistique. Or aujourd’hui, la peinture reste très présente dans la production contemporaine, avec des choses nouvelles qui n’auraient jamais pu être peintes il y a vingt ans. Ces années représentent une transition entre l’art postmoderne et ce qui se produit aujourd’hui. La collection permet une lecture des courants de cette fin de XXe siècle, que les artistes se soient inscrits dans un mouvement, qu’ils en aient pris le contrepied ou qu’ils en aient donné une interprétation nouvelle.

C’est cet aspect pédagogique de l’histoire de l’art que nous souhaitons promouvoir en essayant de toucher un public plus jeune, avec une peinture jeune, au-delà des courants institutionnels du XXe siècle. C’est du contemporain vivant avec une dimension historique.

La signature Quasar : un accrochage singulier pour appréhender la méta-œuvre

Si l’on fusionnait toutes les œuvres de la collection, qui appartiennent à des courants différents, elles n’en formeraient plus qu’une, représentative de ces années-là.
C’est dans cette optique que nous avons choisi un accrochage qui crée une transversalité entre les œuvres, pour que les choses se combinent dans le regard et permettent de voir la méta-œuvre. Nous expérimentons également de nouveaux protocoles de monstration. Les œuvres sont généralement exposées de façon très classique, muséographique, dans le respect des règles de hauteur, etc. Le public se trouve face à un catalogue d’images alignées, qui cantonne à une approche optique de l’œuvre. Nous avions envie de basculer dans une dimension haptique, faire entrer le public dans la vraie dimensionnalité des œuvres. Ce sont des artistes qui ont interrogé la valeur du support, je pense notamment au mouvement Supports/Surfaces qui a remis en question l’importance de la surface au profit du support. Or, ces questions n’ont pas été exposées. Nos accrochages créent des superpositions dans le regard et dessinent un parcours qui permet de pénétrer davantage l’œuvre. C’est une idée innovante, visant à générer du plaisir en se sentant en relation avec l’œuvre et non avec une image placée à distance. C’est une expérience de la peinture et de l’espace. Cette démarche met tout en branle parce que les œuvres se retrouvent ainsi au milieu de l’espace, l’œuvre s’échappe dans l’architecture et prend une autre dimension. Cela met les œuvres en perspective, cela génère une nouvelle grille de lecture avec l’apparition de contrastes. Quand une œuvre cogne dans une autre, il y a des résonances ; c’est l’idée même du parcours, de traverser quelque chose. Revenir à l’émotion, à la sensation face à une œuvre… Sensation qui lui est intrinsèque, mais qui se perd dans les accrochages traditionnels. Nos accrochages essaient de faire entrer le spectateur dans ce qu’il y a de plus profond dans l’œuvre.

Rayonnement(s) de la collection

Notre objectif principal est de diffuser au plus grand nombre la collection car nous avons pleinement conscience de sa valeur pédagogique, notamment pour un jeune public. Pour cela, il nous faut un lieu, un partenaire institutionnel avec qui augmenter la réalité de ce programme. Nous souhaitons montrer la collection en la reliant à la création contemporaine pour la confronter à la production actuelle. Notre volonté est aussi de continuer à montrer, pour les faire vivre, les œuvres d’artistes décédés car il y a malheureusement des œuvres qui s’évanouissent dans le temps.
Pour le moment, c’est moi qui assure les commissariats des expositions, mais j’espère pouvoir les laisser à d’autres pour que soient proposées de nouvelles lectures.

Expositions

Octobre – décembre 2020, Château Haut Selve. Couleur de Vin 

Octobre 2019 – janvier 2020, Musée des beaux-arts de Pau (64). Quasar – La Collection

Eté 2017, La Tannerie – Bégard (22). Dans – Dedans

Eté 2016, Anglet (64). Instinct Couleur. Rétrospective Jean-Claude Pinchon

www.collection-quasar.com

Crédit photographique : © Sébastien Arnouts