Le vendredi 3 août 2012, l’équipe de Comme un homme venait présenter le film en avant-première. Rencontre avec le réalisateur, Safy Nebbou, et les deux acteurs principaux, Emile Berling et Sarah Stern.
Pourriez-vous résumer le film ?
Safy Nebbou : C’est l’histoire de Louis, 16 ans, qui aide son meilleur ami, Greg, à kidnapper sa prof d’anglais pour se venger d’une menace de renvoi du lycée. Ils la ligotent et l’enferment dans un cabanon que possède Louis dans les marais. Ils doivent la libérer le lendemain, mais Greg ne vient pas au rendez-vous…
Vous vous êtes inspiré du roman L’Âge bête de Boileau-Narcejac. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce texte ?
Safy Nebbou : Je connaissais déjà ces auteurs par le biais de deux de leurs livres qui avaient été adaptés au cinéma : Celle qui n’était plus, qui inspira Les Diaboliques à Henri-Georges Clouzot, et D’entre les morts, le chef-d’oeuvre d’Alfred Hitchcock, Vertigo. Leur nom résonnait donc déjà potentiellement comme du cinéma. Et j’ai été fasciné par la situation d’un adolescent de 16 ans qui se retrouve en position de pouvoir absolu sur le corps d’une femme à un moment où il n’est pas calé dans sa vie sexuelle, et qu’il est dans une histoire de deuil… C’est une situation de cinéma qui m’a beaucoup plu.
Est-ce une adaptation fidèle ?
Safy Nebbou : J’ai pris la situation de départ, et on a fait tout exploser avec mon coscénariste, Gilles Taurand. Les marais n’existent pas, et la dimension du père telle qu’elle est développée dans le film est absolument différente aussi. Le livre est un polar, il y a des flics, une enquête, une demande de rançon qu’on a complètement effacés pour aller vers la dimension humaine et symbolique du deuil.
Le changement de titre est intéressant. Comment passe-t-on de L’Âge bête à Comme un homme ?
Safy Nebbou : Je ne pouvais pas l’appeler L’Âge bête. D’abord, l’expression est vieillotte et n’est plus beaucoup employée. Et ça paraissait un peu léger par rapport à la violence du film. On a mis des mois à le trouver, et j’en suis très content parce qu’il y a quelque chose de plus ambigu, de plus complexe, de plus beau. Comme un homme est un titre qui ouvre, qui donne envie. J’espère en tout cas qu’il donnera envie d’aller voir le film.
Le personnage de Louis est complexe, pour ne pas dire ambigu. Qui est Louis ?
Emile Berling : C’est un adolescent totalement bridé, qui joue le bon élève, mais qui a beaucoup de choses cachées au fond de lui. Greg lui offre, inconsciemment, la possibilité de libérer tous ses fantômes plus ou moins bien enfouis, et d’aller où il doit aller. Cette situation est pour lui un exutoire.
Charles Berling, votre père, incarne votre père dans le film. Est-ce que cela a été difficile de jouer avec lui ?
Emile Berling : Cela a été plus difficile avant que pendant. J’avais beaucoup d’anxiété au début, et finalement ça s’est passé naturellement.
Vous avez commencé le tournage un mois avant lui…
Emile Berling : Cela m’a beaucoup aidé parce que j’ai pu prendre mes marques avec l’équipe et me sentir plus à l’aise quand il nous a rejoints sur le tournage. C’était un peu comme s’il venait sur mon territoire, et non l’inverse.
Jouer un père et un fils, quand on est père et fils à la ville, ça aide ou c’est un handicap ?
Emile Berling : Ni l’un ni l’autre, dès qu’on a commencé le tournage, on a fait abstraction de tout le reste pour nous concentrer sur nos personnages et leurs rapports.
Safy Nebbou : Pour ma part, j’étais gêné sur les scènes qui demandaient un rapprochement physique, notamment celle de fin, car j’avais l’impression de forcer leur pudeur.
Votre personnage est au coeur de l’intrigue, le point de départ de l’histoire, et paradoxalement, vous n’apparaissez que de façon parcellaire et bâillonnée. A-t-il été difficile d’interpréter un rôle quasi mutique ?
Sarah Stern : C’était un vrai défi que tout passe par le corps. Je savais dès le départ que ce serait la donne de ce personnage, c’était mon angoisse, mais c’était une exploration que je n’avais jamais réalisée auparavant et Safy tenait à ce que ce soit comme un animal en cage. C’était intéressant de voir comment on peut faire transparaître des émotions et des sentiments par le corps, surtout pour moi qui suis davantage une cérébrale.
Vous venez du théâtre où l’expression corporelle est mise en avant, cela a dû être un atout…
Sarah Stern : Tout à fait, et surtout j’ai fait la Royal Academy à Londres ; les Anglais sont très portés sur le travail du corps, il est plus exploré qu’en France. Il y a peut-être des moments de frustration, mais qui étaient aussi en phase avec la situation d’enfermement. En même temps, tout le monde sur le plateau a été d’une grande délicatesse à mon égard, particulièrement Emile et Kevin (Greg).
Vous venez présenter votre film « chez vous »…
Safy Nebbou : En effet, je suis né à Bayonne, j’ai travaillé dix ans avec le théâtre des Chimères, j’ai fait des films en basque, ma mère vit ici, ainsi que beaucoup de gens que j’aime. Le Pays basque est un ancrage.
Que vous évoque le Pays basque ?
Safy Nebbou : Le fromage ! (Rires) Le Pays basque est une terre mystérieuse, il y a une forme d’opacité ici qui me plaît, le mystère autour de ce peuple et de cette langue relève du conte, très vivant ici. J’espère d’ailleurs faire un jour un film sur la sorcellerie. Je suis plus attiré par l’intérieur que par la côte. Je suis très touché par la montagne, par la lumière : c’est vers Saint-Jean Pied-de-Port que je me sens le mieux.