Esperluette | Sophie Loria

Deux fils

Félix Moati

Vous avez choisi le prisme des fils dans le choix du titre et de l’affiche, sur laquelle Benoît Poelvoorde est tenu par la main, comme un enfant, par ses deux garçons. Pourtant, votre film aurait aussi bien pu s’appeler « Deux frères ».

C’est la merveille de la langue, qui permet d’établir des fonctions. « Deux frères » les aurait installés dans un rapport de fraternité, alors que « Deux fils », sans le nommer, ne fait que parler du père, comme un fantôme.

La non-communication est au cœur de l’histoire : les personnages n’entendent du bien (ou du mal) d’eux que par personne interposée, ou à travers une porte.

 

Ce sont en effet des gens qui ne se disent jamais les choses. Je ne sais pas si c’est par pudeur ou parce qu’ils ne savent pas comment faire. J’aimais l’idée de la porte, d’abord parce qu’il y a un truc intéressant à filmer, et puis on a tous cette sensation que nos parents ne nous disent jamais les choses. Pourquoi on n’arrive pas à se dire l’amour ? On va le chercher, on va le demander ou on va voler des mots de tendresse à travers les portes. Je trouve le non-dit très cinématographique.

Le personnage incarné par Vincent (Lacoste) est un menteur qui a tout déserté, et je l’ai construit avec l’idée très forte qu’il devait être nostalgique de lui-même ; il se souvient de lui-même heureux avant et ne sait plus comment faire. La nostalgie de soi-même, quelle tristesse…

Le corollaire à ce besoin d’amour, c’est le besoin d’être vu et le besoin d’admirer.

Pas même regardé, mais être vu, oui, qu’il y ait des témoins oculaires de notre passage sur terre. Je fais tout pour que mes parents me voient et je pense qu’on a tous cette obsession-là, être vu par nos parents, et plus tard, que nos enfants nous voient. C’est une obsession stupide qui conduit à une quête sans fin, et en même temps, je trouve que c’est le matériau même de la vie. J’aime les gens qui demandent à être vus. Et je trouvais intéressant de le mettre en parallèle d’Ivan qui est obsédé par l’idée de force, qui trouve une architecture dans la religion, qui cite Poutine de temps en temps.

Ivan, interprété par Mathieu Capella, incarne le bouillonnement du passage à l’âge adulte, à travers un texte très référencé.

Les propos d’Ivan sont sophistiqués (agrégation de latin, Tite-Live), mais dans la bouche d’un gamin de treize ans cela crée de la comédie. Et je ridiculise un peu mon côté cultureux de garçon bien né parce que je sais que j’ai une chance que des gens n’ont pas eue d’accéder à la culture très petit. Ivan est psychorigide, il ne s’est jamais confronté au réel et il a des idées sur tout. J’aime les personnages butés.

Pourquoi avoir choisi d’en faire un film plutôt qu’un roman ?

Je n’ai pas été cinéphile avant mes vingt ans. Dans ma famille, la littérature était première, ce qui m’a probablement conduit à sacraliser la littérature. C’est pourquoi j’aurais été incapable d’écrire un roman. Par ailleurs, j’ai besoin de faire les choses à plusieurs, je déteste la solitude. Ce qui me plaît au cinéma, c’est la camaraderie sur un plateau et que le groupe serve un film. Le cinéma, c’est un truc de bande et c’est pour cela que je l’aime autant.

Parlez-nous de votre casting. Commençons par Mathieu Capella, dont c’est le premier rôle, qui est incroyable.

Mathieu est quelqu’un d’extrêmement raisonnable qui avait déjà tout compris à tous les métiers du cinéma quand il est arrivé sur le plateau, curieux, attentif aux autres, posant des questions à tout le monde. Il n’a pas envie d’être acteur, il voudrait être chef opérateur, il aime regarder et a donc la qualité des plus grands acteurs : savoir regarder. Tout comme Vincent.

Vincent Lacoste est sensible au moindre détail, je le connais à la fois intimement parce que c’est un de mes meilleurs amis et il m’est toujours mystérieux, je ne sais pas qui est ce gars. J’ai l’impression qu’il sait de la vie des choses que je ne sais pas.

Immense Benoît Poelvoorde, extraordinairement intelligent, très blessé donc très sensible à la douleur du personnage qu’il interprète. Benoît ne ressemble pas du tout à la légende qui s’est construite autour de lui. Il a un plaisir malicieux constant à jouer, à mettre des masques. C’est quelqu’un qui m’a ému chaque jour sur le plateau. Dans la vie, c’est quelqu’un de nonchalant, de très élégant.

Quant à Anaïs Demoustier, elle mêle aplomb et vertige, et cela me bouleverse. Il m’intéressait qu’elle incarne une femme qui fait ce qu’elle veut. J’en ai marre qu’on culpabilise les femmes avec leur désir. Un homme infidèle au cinéma, c’est même pas une question, on ne lui demande pas de se justifier ; je voulais que ce soit pareil pour une femme, y a pas de raison. J’en ai marre des vieux relents judéo-chrétiens infects. Mon film, à sa manière, donne une vision de ce que je pense de la vie, et je suis radicalement féministe.

C’est aussi une déclaration d’amour à Paris.

Je suis férocement attaché à cette ville, j’y ai toute ma mémoire affective, il n’y a pas une rue que je ne connais pas, j’y ai tellement marché et je m’y suis tellement perdu, géographiquement et sentimentalement. Là, je suis parti depuis deux semaines parce que j’étais en tournage et en démarrage de promo, et ça me manque.

Un dernier mot sur l’affiche…

C’est Floc’h, qui faisait les affiches d’Alain Resnais, qui a fait Hollywood Ending de Woody Allen. Comme le film est assez difficile à résumer, je voulais que l’affiche donne un axe clair, à savoir des fils qui tiennent leur père, à un moment où ce sont les enfants qui commencent à épauler leurs parents. Et puis, c’est un film qui hésite entre drame et comédie, comme moi dans la vie. Je ne sais jamais si je dois rire ou pleurer.