Deux ans après avoir rencontré l’acteur (dans Cigarettes et chocolat chaud), c’est avec une réelle joie que je retrouve le réalisateur Gustave Kervern pour parler du long-métrage qu’il a coécrit avec Benoît Delépine, I feel good. Leur humour et leur fantaisie poétique emmènent le spectateur sur le chemin effacé de la solidarité. Chimérique, pensez-vous ? Eh bien, rêvons un peu !
Le film peut être lu comme un conte philosophique, dont la conclusion est qu’il faut revenir à l’humain.
Cela semble naïf, mais oui. On fait le pari de l’utopie, mais une utopie possible. On va dans le mur, comme le héros, et il nous faut un choc, comme le héros. Et encore, quand on voit la catastrophe de Fukushima et qu’on continue à faire des centrales nucléaires… Entre le capitalisme qui nous fait courir à notre perte, et le communisme qui n’a pas marché, il y a une troisième voie, très naïve, celle de revenir à l’humanité et la solidarité. Mais s’il n’y a pas un réel courage politique, ça va être compliqué…
Vous ne pouviez trouver cadre plus propice que les entrepôts d’Emmaüs pour dénoncer les excès du consumérisme.
Les plans du début et du générique dénoncent en effet cette société de consommation, en présentant les monceaux d’objets que récupèrent les compagnons d’Emmaüs. Vous vous rendez compte que 40 millions d’objets sont jetés chaque année, au lieu d’être réparés… C’est énorme !
Les lieux sont-ils source d’inspiration ou est-ce l’écrin des idées que vous avez déjà couchées sur le papier ?
Nous avons écrit l’histoire à partir du village Emmaüs Lescar-Pau. C’est Moustic qui nous avait parlé de cet endroit. On a effectivement trouvé le lieu génial, c’est un village avec des bâtiments colorés, et on a été enthousiasmés par l’esprit de solidarité et de compagnonnage de la communauté. Et puis pour nous Emmaüs, c’est chargé de sens et d’histoire : l’abbé Pierre, c’est une figure importante, mes premiers meubles viennent d’Emmaüs, Benoît pareil…
Un autre lieu, complètement dingue, et dont on pourrait croire qu’il est sorti de votre imagination, est ce monument à la gloire du communisme !
C’est vrai que cela fait peu décor en carton-pâte, mais il existe bel et bien en Bulgarie, il s’appelle Bouzloudja. Georges Marchais avait d’ailleurs participé à son inauguration. Quand on est sur place, à 1 500 mètres d’altitude, c’est très fort. L’endroit est à l’abandon total, mais c’est impressionnant. Voir un monde qui a existé et disparu donne la chair de poule.
Vos dialogues, tout comme l’image et le cadre, sont extrêmement travaillés.
Comme on ne fait que des plans fixes, il faut trouver le bon plan pour exprimer ce qu’on désire. On a peut-être 130 plans dans un film, donc il faut trouver à chaque fois une idée de dialogue. L’important est qu’il se passe quelque chose dans le plan. Notre force est d’être deux et donc de chercher à deux, et tant qu’on n’a pas trouvé la bonne idée, on ne fait pas.
Vous invitez un nouveau visage dans votre « bande », Jean Dujardin, qui incarne le personnage principal.
On avait rencontré Jean il y a quelques années à Cannes et on avait envie de travailler ensemble. On voulait faire un film dans le style des comédies italiennes des années 1970 et il nous fallait un acteur qui ait du bagout. On a développé les dialogues un peu plus que dans nos précédents films, et même si on tourne en plan séquence, cela n’a pas posé de problème à Jean, habitué à l’exercice avec tous les sketches qu’il a faits. C’est un gros bosseur et un très bon camarade de jeu.
Les musiciens sont également de très bons camarades.
J’ai connu Mouss et Hakim (Zebda) il y a trente ans, quand je travaillais pour Europe 2, je les avais suivis à Rome. On a sympathisé et on a gardé le contact. Ils ont trouvé cette chanson et on a décliné le thème. On a fait les virgules musicales dans les entrepôts d’Emmaüs.
Votre humour n’épargne pas vos personnages, et pourtant on sent toute la tendresse que vous avez pour eux. Comment fait-on pour faire rire sans méchanceté ?
On a beaucoup travaillé le scénario pour que les différents protagonistes ne passent pas pour des neuneus qui tombent dans les filets de l’entreprise de Jacques (Jean Dujardin). On tenait à tourner à Emmaüs Lescar-Pau et à donner une image positive et optimiste de ce centre. C’est aussi le sens du titre, un peu moqueur des feel good movies à notre sauce.