Julie Gayet, dont on connaît l’engagement pour les droits des femmes, a choisi de mettre en lumière des figures féminines, pionnières dans leur domaine, injustement effacées par l’Histoire. La première d’une série, que l’on espère longue, est Olympe de Gouges, femme de lettres, militante politique rédactrice de la Déclaration de la femme et de la citoyenne, dont les combats pour une justice sociale la menèrent à l’échafaud.
Rencontre avec une femme de conviction, à la passion communicative, pour parler du très beau et poignant film Olympe, une femme dans la Révolution, qu’elle coréalise avec son complice Mathieu Busson et dont elle incarne le rôle titre.
Comment est née l’idée de réaliser un film sur Olympe de Gouges ?
Christie Molia, avec qui j’avais déjà réalisé deux documentaires et qui est une femme engagée, cherchait des portraits de femmes de combat. C’est le texte de Benoîte Groult, Ainsi soit Olympe de Gouges, qui a été déterminant. À la fin du XVIIIe siècle, il y avait de nombreuses femmes engagées et pionnières, qui ont totalement investi leur époque… On les a complètement effacées, toutes. Nous avions donc envie de montrer cette période de l’histoire où les femmes ont été partie prenante, où quelque chose était en train de se passer, peut-être les prémices d’un mouvement qui pourrait faire basculer les choses ‒ on sait le coup d’arrêt brutal asséné par le Code Napoléon. Olympe se sait en danger, mais elle continue de se battre pour ses idées. Cette période peut sembler lointaine, mais elle est en même temps si proche. Quand on voit combien il a fallu de temps et de luttes pour acquérir, conquérir chacun de ces droits et comment aujourd’hui certains de ces droits sont remis en question dans des démocraties… C’est toujours très dangereux quand les droits des femmes sont remis en question…
Comment s’est passée l’écriture ?
C’est Christie Molia qui a construit le scénario avec un scénariste et une documentaliste. Le format d’1 heure 30 nous imposait de faire des choix. La frustration a été de ne pas pouvoir tout mettre. La ligne directrice était qu’il fallait que l’on comprenne qu’Olympe est humaniste, avant tout. Elle a lutté contre l’esclavage, contre les injustices sociales, elle voulait l’école pour les filles, la protection des personnes âgées ; elle prônait la convergence des luttes… on n’a rien inventé ! L’idée qu’il faut créer une chaîne pour transmettre, qu’il faut s’unir parce que seul on n’arrive à rien est très présente dans ses écrits et je voulais que cela se ressente à l’écran. Les prisons de femmes et les groupes de femmes mettent en avant cette sororité.
On prête à Olympe de Gouges un esprit vif et une repartie remarquable, que les dialogues retranscrivent savoureusement. Vous êtes-vous appuyés sur des documents ou ses saillies sont-elles l’œuvre du scénariste ?
Le procès a été retranscrit, il est assez documenté. Par ailleurs, elle a beaucoup écrit sur sa vie, donc on connaît beaucoup de choses. Notamment cette phrase, qui dit tout de son combat : « Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud, elles devraient avoir celui de monter à la tribune. »
Le seul problème est que ses textes sont difficiles à trouver. À ce jour, les écrits d’Olympe de Gouges sont publiés par les éditions Cocagne, situées à Montauban, ville natale d’Olympe. Ce sont eux qui ont fait des recherches en Australie et en Tasmanie, auprès des descendants d’Olympe, pour nous fournir les éditions complètes de ses œuvres.
En parallèle du film, Flammarion sort Olympe, une femme dans la révolution, que je conseille à tout le monde. Les deux historiennes qui signent le texte ont pris notre scénario comme base et y ont ajouté toutes les informations documentaires et historiques, tout en gardant la facilité de lecture d’un roman.
Quand on connaît votre engagement pour les droits des femmes, il paraissait naturel que vous incarniez cette femme de combat.
Il est certain que c’est dans la continuité de mes engagements et que c’est sincère. Mais comme je réalisais le film, je ne voulais pas jouer Olympe. J’ai mis beaucoup de temps à accepter cette idée de mes camarades (sourire).
Cette double casquette a-t-elle rendu le tournage difficile ?
Côté réalisation, cela a été beaucoup de travail de préparation pour que tout se passe bien parce que les conditions de la télévision ne nous offraient pas beaucoup de temps – nous avons tourné en dix-neuf jours. Quand j’étais plus jeune et que j’entendais des réalisateurs ou des réalisatrices parler de leur « bébé », comparer l’acte créatif à un accouchement, je ne comprenais pas très bien. Et en fait, je n’ai pas tourné depuis plus d’un an parce que je n’arrivais pas à faire autre chose tant qu’il ne serait pas sorti. C’est drôle, parce que la dernière fois que je suis restée aussi longtemps sans tourner, c’était l’année de la naissance de mes enfants ! Effectivement, il y a quelque chose de l’ordre de la création, de l’accompagnement du film pour qu’il parte sur de bons rails avec la difficulté à le lâcher tout de suite.
Concernant le rôle, j’étais tellement imprégnée par ses textes et par ce que je voulais raconter et comment je voulais le raconter que cela a été facile. Ce qui a été dur, c’est le corset qui m’a fait extrêmement mal au dos. C’est là qu’on réalise que ces femmes étaient, au sens propre, dans un carcan. J’ai ressenti dans ma chair la torture qu’elles vivaient.
Vous effectuez une tournée hexagonale pour présenter le film aux collégiens et aux lycéens (la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est au programme du bac de français, ndr). C’est l’Éducation nationale qui vous a sollicités ou c’est à votre initiative ?
C’est à notre initiative. Je voulais vraiment que l’on transmette aux « enfants de la patrie » (référence à la dernière phrase prononcée par Olympe de Gouges, devant la guillotine : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort », ndr) la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui est un texte ardu ‒ alors que ses autres textes sont plus accessibles. Je voulais que les élèves aient une vision d’ensemble, de l’époque, de sa personnalité, de l’énergie qu’elle avait, et surtout montrer comment on peut quitter Montauban pour Paris, avoir des rêves et faire bouger les choses. La tournée n’a cessé de s’étoffer, il reste encore quelques dates, puis le film sera diffusé sur France Télévisions le 3 mars et tous les Français pourront s’en emparer. On fait également une conférence sur Lumni, une plateforme éducative qui permettait d’avoir cours pendant le confinement. Ainsi, cela va continuer d’être un objet pédagogique, que les professeurs pourront utiliser pour raconter l’histoire de France avec ces femmes que l’on n’a pas forcément mises en lumière.