Olivier Jahan, accompagné d’Emma de Caunes,
est venu présenter son film Les Châteaux de sable au Select.
Suite au décès de son père, Eléonore (Emma de Caunes) part en Bretagne avec Samuel, son ex interprété par Yannick Renier, pour mettre en vente la maison familiale…
On sort de la projection sous le charme de votre naturel, et de votre talent à exprimer une large palette d’émotions. Avec l’envie de vous revoir très vite. Pourquoi vous voit-on si peu au cinéma ?
Emma de Caunes. Quand j’ai commencé, j’ai enchaîné différentes propositions, comédies, films d’auteurs… Puis je me suis éloignée du cinéma parce que j’ai fait d’autres choses, j’ai animé une émission sur Canal+ pendant dix ans qui s’appelait La Musicale, j’ai fait du théâtre… Mais en l’occurrence, cela faisait un moment que je n’avais pas reçu de proposition de rôle qui corresponde plus ou moins à mon âge, et surtout à des émotions qui m’intéressent. Il se trouve en plus que j’ai déjà travaillé plusieurs fois avec Olivier et que j’ai une confiance aveugle en lui. Il y avait une réelle envie de retravailler ensemble. C’est un rôle magnifique de pouvoir jouer toute cette palette d’émotions et de transformations. Je suis véritablement tombée amoureuse du projet et du personnage.
Vous filmez vos acteurs avec amour. Et particulièrement l’intensité des regards. Comme si vous donniez à voir l’âme de vos personnages.
Olivier Jahan. Quand on travaille avec des comédiens aussi investis, et à la fois aussi libres par rapport à la matière que je leur proposais, cela n’est pas très difficile – même si ce n’est jamais facile de faire un film. J’ai senti dès le départ une très grande fluidité avec tous les comédiens, l’alchimie entre Emma et Yannick (Renier), puis entre Yannick, Emma et Jeanne (Rosa) a été immédiate. Ensuite, il suffit d’attraper les bons moments, à la caméra, puis au montage. Mais je redis que quand on travaille avec des comédiens comme ça… Emma, je la connais bien, c’est le quatrième film qu’on fait ensemble. On se connaît, on sait comment on travaille. Je ne connaissais pas Yannick Renier, mais il a tout de suite épousé la manière de travailler et d’interpréter le personnage… Tout a roulé. En plus, on avait très peu de temps pour tourner le film, seulement vingt jours, donc il valait mieux que les comédiens soient au taquet (rires) ! Ce qui a été le cas. Mais je n’avais aucun doute là-dessus.
Vous nous faites également découvrir une actrice talentueuse, Jeanne Rosa.
OJ. C’est vrai qu’elle est peu connue. Elle a fait peu de cinéma, elle a fait du théâtre avec mon coscénariste Diastème. Tout est familial dans la façon dont j’ai élaboré le casting. J’ai déjà tourné avec Jeanne. C’est quelqu’un de la tribu, Emma la connaît, elles ont joué ensemble au théâtre, moi j’ai fait plusieurs courts-métrages avec elle. Quand on a construit le film, évidemment que Jeanne ferait partie de l’aventure… On a écrit le rôle pour elle, comme on a écrit pour Emma. Les hommes, je les ai cherchés après avoir écrit. Mais Jeanne et Emma s’inscrivaient naturellement dans l’histoire du film.
EdC. Christine (Brücher) également.
Elle occupe un rôle clé dans l’articulation de ce trio.
OJ. Son personnage a été écrit comme un contrepoint à l’histoire de Samuel et Eléonore. Claire Andrieux arrive comme un bulldozer dans le film, et petit à petit, par des coups de boutoir assez calculés, sous une apparente maladresse ‒ c’est là qu’est l’ambiguïté du personnage ‒, elle les fait avancer incroyablement. Nous avions envie de casser un récit qui aurait pu être plus linéaire, avec seulement une confrontation du couple qui s’est aimé, et le personnage de Claire plus en retrait. On voulait un personnage qui rue dans les brancards, et en même temps je souhaitais placer au coeur du film un personnage solitaire. Personnage solitaire qui se nourrit joyeusement de la vie des autres, mais qui vit sa vie par procuration. Cela rendait le récit plus surprenant, par le biais de ce personnage à la fois burlesque et émouvant et très attachant.
EdC. C’est un personnage qui aide le mien à accepter son deuil, à avancer dans ce processus très douloureux. Souvent dans la vie, alors que l’on cherche du réconfort auprès des siens, ce sont des êtres extérieurs à nous qui nous aident, parfois par une parole brusque qui nous fait ouvrir les yeux. Claire vit seule et n’est confrontée qu’à des gens qui sont en construction, qui veulent acheter une maison, une femme enceinte, des couples, des individus qui investissent sur l’avenir, et elle, son avenir, on ne voit pas trop où il est. C’est peut-être aussi pour cela qu’elle s’attache à ce couple qui dénote. Elle a envie de les connaître, et si elle devient intrusive, c’est pour leur bien. C’est un très joli personnage.
Le texte, très littéraire, donne l’impression d’un roman porté à l’écran. Impression renforcée par le recours à une voix off…
OJ. Le texte était effectivement écrit de manière très littéraire, et non pas comme un scénario classique. Il est vrai que le texte s’apparentait davantage à un roman qu’à un script. Il y avait des incursions dans les scènes, des décrochés, qui ont pu laisser perplexes ceux qui l’ont lu. Quand on a tourné, on n’avait pas envie d’enlever toutes ces choses que l’on avait écrites librement et on a décidé d’une voix off qui puisse intervenir quand on a besoin d’en savoir un peu plus sur les personnages.
Le titre, inspiré d’une chanson de Georges Brassens, évoque l’éphémère.
OJ. Les châteaux de sable évoquent l’enfance, la déconstruction et la reconstruction.
Votre film suggère aussi que si rien ne dure, on a toujours la possibilité de recommencer les choses. C’est un joli message…
EdC. Ce qu’on a perçu des premières projections en effet, c’est que le film est réconfortant. Les gens sortent avec le sourire. Alors qu’au départ, avec un film sur le deuil, on peut ne pas s’attendre à ça.
L’éphémère se trouve aussi dans le métier d’Eléonore. Elle est photographe.
EdC. Il y a toutes sortes de photographes et plein de façons d’aborder la photo. Eléonore fait des instantanés, dans la rue, elle chope des moments de vie. Elle est vraiment dans le carpe diem, à la différence de Samuel qui est historien et qui vit dans le passé.
Votre personnage, à travers le deuil de son père et de son amour perdu, est confronté au temps qui passe. Etes-vous une nostalgique ?
EdC. Je suis nostalgique des vieux films, de l’époque où on n’avait pas de portable… Je pense que j’aurais préféré vivre à une autre époque. Je ne suis pas dingue de l’époque où l’on vit. Mais je ne suis pas nostalgique par rapport à moi ou à mon passé. De ce point de vue, je ressemble assez à Eléonore, je suis dans le présent.
Les photographies d’Eléonore, ainsi que celles de son père (interprété par Alain Chamfort), sont d’une grande beauté. Qui a les réalisées ?
EdC. Frédéric Stucin, qui travaille entre autres pour Libération.
OJ. C’est un type très doué, qui est en train de développer un projet de photographies de rues. Il a lu le scénario et est entré dans le projet avec beaucoup d’enthousiasme. Il a amené son univers.
Elles s’inscrivent très naturellement dans la narration et l’image, et loin d’être un artifice, elles apportent du relief au récit.
OJ. On s’est effectivement dit quand on les a posées au montage que cela fonctionnait super bien. C’était un tournage très joyeux, et en même temps très intense ; on cherchait de tous les côtés avec les comédiens et les techniciens, mais le travail collectif a été très stimulant. Si, au final, il ressort de cette alchimie une sensation de fluidité et de richesse par rapport à toutes les propositions qu’on a faites, c’est un beau cadeau pour moi.