Comment avez-vous rencontré David Caumette ?
Jean-Pierre Améris. Je suis tombé sur un reportage sur France 3 sur David, jeune agriculteur du Tarn qui a créé un cabaret pour sauver sa ferme, et j’ai eu un immédiat coup de foudre pour cette histoire. Je savais qu’il y avait un film à faire. Trois semaines plus tard, je l’ai rencontré chez lui, et l’écriture du scénario a démarré en 2018. Le film est inspiré à 70 % de sa vie, et il y a 30 % de romanesque.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter son histoire ?
JPA. David a connu les difficultés et le désespoir des agriculteurs dont on parle beaucoup, notamment les suicides (350 par an). Vous le savez, j’aime faire des films sur des personnages en butte aux écueils de la vie, à l’abattement, et qui donnent le coup de pied nécessaire pour remonter. C’est ce que je voyais dans son histoire : cette idée ‒ saugrenue pour certains ‒ qui allait le sortir de la faillite, et générer une solidarité. J’avais envie de faire l’éloge du collectif et des rêveurs qui concrétisent leur rêve.
Quel type d’exploitation agricole possédez-vous ?
David Caumette. Je suis éleveur, j’ai 100 vaches, 60 porcs, 60 brebis, 700 volailles. On est en agriculture biologique, toutes nos productions grande culture servent à l’alimentation des animaux, et les animaux sont valorisés sur le marché ou directement au cabaret à la ferme ; on est vraiment sur du circuit court et sur un bilan carbone parfait. Pour moi, chaque produit du terroir doit être attaché à son territoire, c’est ce patrimoine gastronomique qui fait le charme de la France et qu’on doit essayer de mettre en valeur. Dans le film, je suis producteur de lait, c’est un clin d’œil à ma femme qui voulait créer une fromagerie.
Comment avez-vous eu l’idée de faire un cabaret ?
DC. Quand j’ai repris la ferme, mes parents étaient en train de la vendre. Dès le départ, cela a été un challenge. On a commencé par une valorisation de notre production avec la boutique des producteurs : on faisait les marchés, les livraisons à domicile, qui ont très bien fonctionné jusqu’en 2013-14. À cette date, les supermarchés ont ouvert le dimanche, et en six mos, j’ai perdu 30 % de mon chiffre d’affaires sur tous les marchés. C’était catastrophique. Ma femme m’a alors dit qu’il fallait apporter le produit non plus seulement dans le panier du consommateur, mais jusque dans son assiette. Si les gens voulaient bien manger, ils devaient venir à la ferme. Le problème était de les amener à la ferme, qui est isolée, contrairement à un marché. On a donc construit une ferme-auberge… Bilan annuel : 15 couverts par semaine. Il fallait trouver une autre idée. Comme je parlais toujours du spectacle dans l’assiette pour promouvoir nos produits, ma femme m’a suggéré de proposer un vrai spectacle, avec des numéros. On a commencé par faire venir les différentes associations du coin (country, zumba…). Cela a plu. On a donc aménagé l’espace pour créer une scène et on a fait venir des artistes. Mais quand j’ai dépassé les 6 représentations annuelles, la Sacem m’est tombée dessus. J’ai dû passer une licence de spectacle. Mais l’administration bloquait encore sur le fait que je dépende à la fois du ministère de l’Agriculture pour mon activité principale et du ministère de la Culture pour les spectacles. Il m’a été objecté que je ne rentrais pas dans les cases et qu’une ferme-auberge qui présentait des spectacles n’existait pas pour le ministère de la Culture ! Il a donc fallu choisir un type d’établissement dans une liste établie par l’administration (bar musical, zénith, restaurant-auberge, auditorium, cabaret). C’est le cabaret qui convenait le mieux.
Avez-vous été surpris par la proposition de Jean-Pierre Améris ?
DC. En fait, avant qu’il ne me contacte, j’avais déjà eu huit propositions de film : série, fiction qui se terminait en dessin animé… et même un film axé sur la condition tragique des agriculteurs. Moi, je voulais un film positif. Je suis très heureux du film de Jean-Pierre parce qu’il a retranscrit des choses que je ne lui ai pas dites. À croire qu’il lit dans mes pensées ! Je lui tire mon chapeau.
JPA. David a découvert les points communs entre agriculteur et réalisateur : il faut avoir foi en son projet contre l’adversité, et c’est un travail lent. Il s’est étonné d’ailleurs que le temps d’écriture soit aussi long, deux ans.
DC. C’est vrai qu’à un moment, je n’y croyais plus du tout. Cela fait quatre ans quand même !
Le casting, pour trouver les numéros, est au cœur du film. Et vous, comment avez-vous élaboré votre bande d’acteurs ?
JPA. À l’image du cabaret, je souhaitais réunir des acteurs et des actrices d’univers différents. Alain Rimoux, qui interprète Gabor, vient de chez Peter Brook, c’est un grand acteur de théâtre ; Ariana Rivoire est la jeune fille sourde qui jouait Marie Heurtin ; il y a également un véritable transformiste de chez Michou et des humoristes (Alban Ivanov et Bérengère Krief). J’ai vu Alban dans Le Sens de la fête, j’aime cet acteur, la vérité qu’il dégage. Bérangère Krief est d’une grande subtilité. J’ai écrit le rôle en pensant à Sabrina Ouazani, elle est danseuse ‒ c’est même une véritable athlète ‒ et les actrices danseuses sont peu nombreuses. Le tissu aérien est un peu sa spécialité, mais elle a travaillé des mois pour le pole dance. J’aime beaucoup Sabrina, elle est drôle et elle m’épate. Quant à Michèle Bernier, vous rendez-vous compte qu’elle n’a pas reçu une proposition de cinéma depuis vingt ans ? Le cinéma est si snob qu’il l’a cataloguée actrice de télévision. Alors que c’est une merveilleuse actrice. Guy Marchand s’est imposé assez vite à l’écriture. Je ne le connaissais pas et j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui.
C’est le premier film choral dans votre filmographie. Cela implique un important travail d’écriture et de montage pour trouver le juste équilibre entre les différents personnages ?
JPA. C’est dur, les films choraux ! Je vais vite refaire un film à deux personnages dans une pièce (rires) ! J’admire les Toledano et Nakache qui excellent dans ce domaine. Chacun des acteurs était tellement impliqué dans le projet qu’aucun n’a essayé de tirer la couverture à lui. Il y a un très bon documentaire, De folie en folie, qui a été réalisé sur la préparation du film. Il sera sur le dvd et va sortir dans certaines salles. On y voit les grandes lectures avec toute la troupe d’acteurs. Je voulais qu’ils soient ensemble, pour apprendre à se connaître, faire tomber le trac et apprendre à être une troupe.
Pourquoi avoir déplacé l’histoire dans le Cantal ?
JPA. C’est une région à laquelle je suis attaché, j’y allais enfant et j’y suis toujours retourné pour marcher. J’aime connaître les lieux que je vais filmer, j’en ai besoin. Et j’aime ses paysages sauvages, qui évoquent les archétypes du western : David, le cowboy qui veut sauver son ranch ; la petite fiancée délaissée ; Bonnie, la fille de mauvaise vie qui a un grand cœur et qui est plus fragile qu’on ne pense ; le vieux qui est contre le projet…
Vous avez choisi d’assurer la promotion tous les deux ?
JPA. C’est ce que je souhaitais, oui. Cela me semblait la moindre des choses. C’est son histoire et c’est ensemble qu’on peut en parler, on se complète.
Quel effet cela fait-il de se voir (sous les traits d’Alban Ivanov) au cinéma ?
DC. C’est très émouvant de voir sa vie (à 70 %) sur grand écran. J’avais très peur de ce projet au départ, mais j’en suis très heureux et j’ai fait de belles rencontres. Guy Marchand m’a dit que j’avais réussi à fédérer deux mondes qui ne se connaissaient pas, et que mon idée permettrait peut-être à d’autres de sauver leur ferme et qu’ainsi nos enfants continueraient à bien manger. Je suis heureux et fier de dire que le projet fonctionne et qu’au bout de quinze ans, on crée quinze emplois, deux commerces de proximité en zone rurale et on sauve le dernier élevage de la commune. On sauve aussi une lignée familiale parce que je peux enfin vivre de mon activité et on incite l’agriculture à innover en rapprochant exploitant et consommateur, ce qui permettra de sauver des exploitations.