Esperluette | Sophie Loria

Marie-Line et son juge

Jean-Pierre Améris et Murielle Magellan

Le nouveau long-métrage de Jean-Pierre Améris parle de la chance de la rencontre. La mienne est double, puisqu’au plaisir sincère et toujours renouvelé de retrouver le réalisateur, s’ajoute celui de faire la connaissance de Murielle Magellan, scénariste et écrivain, dont un des romans a inspiré à Jean-Pierre Améris Marie-Line et son juge. Une conversation enthousiaste et chaleureuse sur l’écriture, les enjeux de l’adaptation, et l’importance d’une rencontre dans une trajectoire apparemment écrite.

Romancière, dramaturge, scénariste… Vous êtes un écrivain protéiforme.

Murielle Magellan. J’ai commencé par le théâtre, je veux dire que les premiers textes que j’ai aboutis étaient des pièces de théâtre. C’est l’intérêt qu’a suscité ma pièce Pierre et Papillon qui m’a amenée à l’écriture scénaristique. Plusieurs personnes de l’image m’ont alors dit que je devrais écrire des scénarios parce que mes textes étaient très cinématographiques. N’ayant pas appris l’écriture filmique, je ne me sentais pas légitime, mais très excitée à l’idée d’écrire pour l’image. Je me suis jetée à l’eau et ai très vite été happée par l’écriture de scénarios de télévision. J’ai été petite main sur une série qui s’appelait PJ. C’est comme ça que j’ai appris, grâce aux conseils des directeurs de collection et des coscénaristes. Peu à peu, j’y ai pris goût et j’ai commencé à faires des ponts entre l’univers du théâtre et l’écriture scénaristique. Le roman est arrivé plus tard. J’avais une pièce, Trait d’union, qui était jouée aux Mathurins. On m’a tendu des perches pour aller vers la littérature, ce que j’avais très envie de faire, ayant suivi des études de lettres. J’ai publié six romans (cinq chez Julliard et un chez Mialet-Barrault parce que j’ai suivi Betty Mialet) ; le prochain va sortir en janvier, il s’intitulera La Fantaisie.

Que vous apporte chacune de ces formes d’écriture ?

MM. Ce sont des formes distinctes dans lesquelles je trouve un plaisir très différent. Le roman, pour moi, c’est beaucoup le rapport à la langue. Je me bagarre beaucoup avec la langue pour trouver le mot juste. L’écrit me passionne pour exprimer au plus près ce que j’ai envie de dire, alors qu’à l’oral, les mots ne viennent pas si facilement. Pour un scénario, ce que l’on me demande avant tout, c’est de construire une histoire, de la rendre crédible, de dessiner la psychologie des personnages. Enfin, le théâtre, selon moi, se situe à l’intermédiaire des deux. Il y a la dramaturgie, mais c’est aussi un lieu où l’on peut faire sonner la langue. On peut faire parler un personnage mieux que dans la vie.

J’adore ces trois formes d’écriture et je pense que tous les sujets ne vont pas à toutes les formes, notamment l’intériorité qui est très compliquée à exprimer au théâtre ou à l’écran.

C’est un de vos romans, publié il y a quatre ans, que Jean-Pierre Améris a choisi d’adapter. Jean-Pierre, Ces personnages étaient faits pour vous ! Si je ne l’avais pas su, j’aurais deviné que c’était vous le réalisateur.

Jean-Pierre Améris. (Rires.) En lisant le roman de Murielle, Changer le sens des rivières, c’est vrai que j’ai tout de suite aimé ces personnages, et ce message. En vieillissant, j’ai de plus en plus envie de transmettre quelque chose de positif. Après tout ce qui s’est passé cette année, et sans être d’un optimisme béat, je voulais dire qu’on peut changer le sens des rivières. Et je voyais comment le mettre en scène.

Cela fait une quinzaine d’années que l’on travaille ensemble. On s’est connus en adaptant La Joie de vivre d’Emile Zola pour la télévision. Murielle a écrit Une famille à louer et Illettré pour la télévision, et adapté Profession du père.

Vous ne souhaitiez pas participer à l’adaptation ?

MM. Non, parce que lorsque je finis un roman, je suis allée au bout de ces personnages, au bout de l’histoire, et je ne peux pas me remettre à penser à une autre forme sur le même sujet. J’ai très vite dit à Jean-Pierre de faire son film parce que je sais très bien qu’il faut être infidèle (un peu) quand on adapte.

JPA. Tu dis souvent que tu le fais comme scénariste.

MM. Oui, en tant que scénariste je trahis les autres, donc je sais que je vais être trahie ! (Rires.) Et j’avais toute confiance parce que Jean-Pierre avait compris l’essentiel, le cœur du livre. C’est la seule chose que l’on n’a pas envie de voir trahie. Je savais qu’il n’allait pas l’emmener ailleurs. Partant de là, tous les aménagements que demande le cinéma me vont parce que réflexions et choix sont différents pour qu’une histoire marche à l’image.

Les changements effectués ne vous ont donc pas causé de pincement au coeur ?

MM. Aucun pincement au cœur. Au contraire.

JPA. Tu le dis toi-même, c’est une adaptation assez fidèle, faite par Marion Michau, une excellente scénariste, et romancière elle aussi. Elle avait déjà coécrit Les Folies fermières. J’aime beaucoup son travail. Elle a apporté un peu d’humour dans les dialogues.

Qu’avez-vous aimé dans ce roman ?

JPA. J’avais vraiment envie d’un film duo, je trouve que c’est un vrai genre de cinéma. Et je voyais ces deux personnages dans la voiture. La seule chose que m’a dite Murielle, c’est « attention, ce n’est pas un Pygmalion ». Et de fait, le personnage incarné par Louane apporte aussi beaucoup au juge, interprété par Michel Blanc. Ce sont deux personnes qui se réparent l’une l’autre. C’est aussi, comme toujours, l’éloge de la chance de la rencontre.

MM. Cela parle de la difficulté de rencontrer des gens qui ne sont pas dans nos cercles et qu’il faut souvent un accident pour que cela ait lieu. Et quand cette brêche s’ouvre, on apprend beaucoup parce qu’on est dans des codes qui ne sont pas les nôtres, que ce soit Marie-Line face au champ lexical du juge, ou lui dans la pulsion de vie, la simplicité de la jeune femme.

JPA. J’aime filmer la découverte, les gens qui apprennent. Et le juge lui apprend que c’est une joie d’apprendre. J’espère, avec ce film, toucher un public jeune. C’est tellement désespérant aujourd’hui d’entendre des gamins de douze ans dire que, de toute façon, c’est foutu (ce qui est la position de la sœur de Marie-Line). Or, la vie est faite de choix, il n’y a pas de fatalité.

J’ai beaucoup apprécié les dialogues, ciselés, teintés d’humour, et qui évitent l’écueil de l’archétype de deux milieux différents.

JPA. Autant Murielle que moi, on n’écrase jamais les personnages. On leur donne leur part entière.

MM. Avec, comme vous le disiez, de l’intelligence et de la pertinence.

Marie-Line est interprétée par Louane, formidable dans ce rôle.

JPA. J’aime vraiment cette fille, et je crois qu’il s’est passé une confirmation/révélation. Elle confirme son talent, et elle se révèle comme jeune femme. J’ai écrit pour elle, au fil des versions. Elle a une pulsion de vie incroyable. Par chance, le scénario lui a plu.

Elle a accepté un rôle qui pouvait, sur certains points, ressembler à sa vie ?

JPA. C’est vrai que c’est quand même un portrait d’elle. Elle est issue d’un milieu modeste, ne connaît rien au cinéma, elle n’a jamais vu un Truffaut… J’aime de plus en plus faire le portrait de l’acteur ou l’actrice que j’ai en face de moi. Ce qui l’a libérée, c’est qu’elle a compris qu’il ne fallait pas être dans le « est-ce que je joue bien ? ». Je lui ai dit qu’il fallait lâcher et donner, donner à la caméra et au spectateur. Je crois qu’elle y a réussi. Elle-même dit que c’est la première fois qu’elle prend du plaisir sur un tournage.

À ce point-là ?

JPA. Oui. Elle est d’abord chanteuse, et jusque-là, elle était un peu complexée. C’est vraiment une belle révélation… On a travaillé ensemble le look du personnage.

Vous avez une idée précise de ce que vous voulez ou vous laissez le champ libre à la costumière ?

JPA. Non, parce que tout de suite il y a l’idée. En Angleterre, comme au Havre où l’on a tourné et dans le Nord d’où est originaire Louane, il y a beaucoup de filles comme ça. Je voulais une fille avec des cheveux colorés, une minijupe avec des collants incroyables et des DocMartens. J’aime dessiner les personnages. De même, le personnage de Michel blanc, c’est un imperméable, mon cartable que je lui ai passé… C’est du Sempé. Il faut du dessin, j’aime de plus en plus ça. Mais ce n’est pas naturaliste, c’est du réalisme coloré. Ce n’est pas parce qu’on fait un film sur les pauvres que ça doit être glauque.

On sait que la ville ou la région du tournage est très importante pour vous. Cette fois, vous avez choisi Le Havre.

JPA. Le Havre est le lieu du roman. J’ai adoré cette ville, j’ai adoré la filmer.

MM. Le Havre me paraissait idéal pour raconter cette histoire parce qu’elle porte l’aspect très prolétaire, mais aussi un éveil. C’est une ville quasiment bobo aujourd’hui. Il y a cette double énergie de la trace d’une histoire populaire et ouvrière, et celle de la culture, d’un aspect branché presque, que peut incanrer Alexandre. Cela me paraissait l’endroit pour raconter cette rencontre. Et puis, il me fallait un juge qu’on puisse croiser dans la ville, ce qui impliquait la présence d’un palais de justice, mais une ville pas trop grande. Et enfin, la mer, pour le départ.

Ce juge, taciturne et bougon, est interprété par Michel Blanc.

JPA. Michel Blanc a tout de suite dit oui parce qu’il a immédiatement aimé le personnage. Lui qui est un grand auteur, adaptateur de pièces anglaises, très bon réalisateur, n’a pas touché aux dialogues. Il a beaucoup aimé Louane ; le courant est passé entre eux dès la première lecture, exactement comme dans le film. Il a adoré le rôle, cet homme viscéralement attaché à la justice, et il a aimé l’humour qu’il m’a dit ne pas avoir perçu à la lecture du scénario. Michel m’a impressionné car c’est un gros travailleur. Il est extrêmement méticuleux, chaque mot est important.

Le père de Marie-Line est incarné par Philippe Rebbot.

JPA. Philippe est un acteur incroyable parce qu’il est dans le don de soi. Son personnage est un peu moins dur que celui du roman. C’est là que je mets mon humanité, moi je sauve tout le monde (rires) !

Comment avez-vous pensé à Victor Belmondo pour jouer Alexandre, le petit ami de Marie-Line ?

JPA. En le voyant dans le fim de Barratier, Envole-moi. Victor a une simplicité et une humilité qui m’épatent. Je pense que la famille Belmondo devait être une belle famille sur le plan de l’éducation également. Je l’ai vu dans la série sur Bardot… À mon avis, il va aller loin. Je trouvais que c’était le rôle le plus risqué parce qu’on pouvait prendre le personnage en grippe. Et je crois que l’on n’a pas envie de donner de gifle à Alexandre.

C’est le personnage que j’ai eu des difficultés à lire. Car sans vouloir le gifler, je ne l’ai pas trouvé sympathique non plus.

MM. Ce personnage vient gratter où l’on n’a pas trop envie que cela gratte chez nous, à savoir sur notre snobisme culturel. Il a raison quand il lui dit au début du film que cela n’ira pas entre eux. Car oui, quand on ne partage pas de centres d’intérêt ou de références culturelles, une fois que le corps a exulté, comme dit Brel, de quoi on parle ?

Le plus terrible, c’est que l’on ne sait pas si cette position est intrinsèquement la sienne ou si elle lui est dictée par le regard de ses amis.

JPA. Oui, il a honte d’elle face à ses amis.

MM. Ça, c’est plus dans le film que dans le livre. Dans le livre, Alexandre est honnête avec lui-même et avec elle. Quand elle va manifester une curiosité intellectuelle, le désir va revenir. J’aimais l’idée que pour que l’amour ait lieu, elle a un chemin à faire.

JPA. Ce thème de la culture est intéressant. La culture peut être facteur d’émancipation mais aussi d’exclusion. C’est vrai qu’il n’y a rien de pire que ne pas comprendre de quoi parlent les autres dans un dîner.

MM. C’est une forme d’humiliation culturelle.

La culture nous sauvera ?

JPA. Je le crois, je l’espère en tout cas. Quand je rencontre des scolaires, je me dis qu’il y aura peut-être un garçon ou une fille qui aura un déclic pendant le débat, et se dira que ce n’est pas seulement pour les autres mais pour lui ou elle aussi. Moi, je rends toujours grâce à M. Canard, mon professeur de français en cinquième, qui m’a donné le goût de la lecture alors que je ne lisais pas, hormis des bandes dessinées et Bob Morane. Il m’a ouvert au plaisir de la culture.