Maïwenn avait choisi le Pays basque et le cinéma Le Select à Saint-Jean-de-Luz pour terminer la promotion de son nouveau film, Mon roi. Son acteur principal, Vincent Cassel, l’y a retrouvée. L’occasion d’un échange gai et convivial sur le travail de la réalisatrice et la vision de l’acteur.
Il y a quelque chose de différent dans votre manière de filmer par rapport à vos précédentes réalisations.
Maïwenn. Je n’ai pas eu le sentiment de faire ce film différemment, mais mieux, de façon plus assumée, plus travaillée, plus… Comment dire ?…
Vincent Cassel. Moi je trouve que tu te bonifies. Et ce n’est pas parce que je joue dans celui-là que je dis ça ! (Rires)
M. De film en film, on a envie de s’améliorer, c’est normal. Il y a toujours des erreurs, et on se dit que sur le prochain on fera mieux. Je voulais que ce soit le même style parce que je suis ce que je suis, mais en plus propre. J’avais un point de vue sur tout, alors que sur les précédents j’avais tendance à me focaliser sur les acteurs. Là, j’ai réfléchi aux décors, aux cadres, au maquillage et je savais exactement ce que je voulais dans tous les domaines artistiques. Un détail, par exemple : je ne voulais aucun décor avec des murs blancs parce que je voulais que la source de lumière soit les visages.
VC. C’est incroyable ce que tu dis. Je ne savais pas, mais je trouve cette idée super.
M. Du coup, aucun décor n’est blanc, excepté le bureau d’avocat parce que je voulais que ce soit un truc froid. Cela a été très compliqué avec le décorateur à cause de ça, mais je trouve que c’est payant, les visages sautent à l’écran. De même, je voulais que les caméras soient dans le regard des gens.
C’est l’histoire d’une passion amoureuse. Mais contrairement à d’autres films qui se focalisent sur la violence et les ravages que celle-ci entraîne, votre film développe beaucoup de douceur et de gaieté.
M. C’est l’humour qui fait ça. Le drame passe beaucoup mieux avec l’humour. Sans ça, j’ai l’impression de faire du pathos, du mélo, et je n’aime pas le mélo au cinéma.
C’est principalement lié au personnage de Giorgio, à l’image plurielle, teintée de juvénilité et d’humour, avec toutefois une violence rentrée qui se profile. C’est cette complexité qui vous a attiré ?
VC. On est surtout dans le point de vue d’une femme amoureuse qui souffre. Vous remarquerez que Giorgio n’apparaît jamais seul à l’écran. Finalement, on ne sait pas vraiment qui est ce mec. C’est une version fantasmée, érotisée exprimée par une femme. Le spectateur sait beaucoup plus de choses sur elle que sur lui, et le peu qu’il sait sur lui passe par son regard à elle.
Tout à fait, mais c’est le parti pris du film, que le titre annonce d’emblée : il y a un rapport de sujétion dans « Mon roi ».
VC. Entièrement. Mais ce titre est un aveu d’impuissance face à l’amour : le roi de mon cœur, que je le veuille ou non… On est encore une fois dans le regard de cette femme, puisque c’est la façon dont elle l’appelle. C’est elle le film.
M. Je suis d’accord avec ce qu’il dit, néanmoins, il était pour moi important de ne jamais porter un quelconque jugement sur Giorgio. Je voulais qu’on l’aime et qu’on soit déchiré.
VC. C’est quand même lui qui passe pour un enfoiré à la fin.
M. Non, non, non. Dans les débats, il y a beaucoup d’hommes qui disent qu’il n’est pas un enfoiré.
VC. Moi, je ne pense pas que c’est un enfoiré, on retrouve les failles de ce mec chez beaucoup, beaucoup d’hommes, à des degrés divers. Mais dire que ce mec n’est pas un enfoiré revient à dire que l’on est un peu comme ça. En définitive, je considère que mon boulot c’est ça, montrer les choses que l’on peut penser et faire, sans porter de jugement.
M. Mais c’est essentiel pour un acteur de comprendre et d’aimer son personnage, sinon il en fait une caricature.
Il y a une telle spontanéité, un tel rythme et une telle jubilation dans les dialogues, surtout les scènes de début de relation amoureuse, que l’on peut se demander s’il y a eu de l’improvisation.
VC. Tout est écrit et on commence à tourner normalement, mais au bout d’un moment, Maïwenn nous demande d’extrapoler les scènes, de reformuler… Comme on tourne avec deux caméras, cela permet de faire des improvisations très larges et, en fait, il y a plein de choses qui se passent, pour arriver finalement à la scène écrite, mais formulée différemment, avec des accidents de langage, des digressions…
M. Les situations sont écrites. Après, je me fous qu’ils disent le texte comme il est écrit. Je veux que les acteurs s’approprient l’histoire et je ne veux pas qu’ils dépensent leur énergie sur la mémoire, je veux que 100 % de leur énergie soit utilisée à écouter l’autre et à jouer la scène.
Un autre point fort du film est de montrer les acteurs tels qu’on ne les avait pas encore vus. C’est le cas notamment de Louis Garrel. Quant à vous, Vincent Cassel, vous vous découvrez juvénile, léger, solaire…
VC. On m’a souvent dit de faire des comédies, avec de l’amour, de l’humour, mais ce sont des considérations extérieures parce que de mon point de vue, il y a toujours un moment de comédie même dans les films les plus durs : il y a beaucoup d’humour dans La Haine et les dialogues d’Irréversible sont très drôles. Merci pour le truc solaire, mais faire ça pour moi n’est pas différent, c’est une aventure magnifique que je vis pleinement. Mais bon, comme me disait mon père, « tant que les gens ont l’impression de te redécouvrir, c’est bon signe ».
Comment avez-vous pensé à Vincent Cassel ?
M. Chaque fois que je voyais ses films, je me disais que je voulais absolument tourner un jour avec lui, mais quoi ? Je ne voulais pas qu’il ait un tout un petit rôle. Et au fur et à mesure de l’écriture, j’ai pensé à lui. Puis, j’ai revu Mesrine. Je ne le connaissais pas, je ne savais pas comment il était dans la vie, mais je me suis dit que s’il avait fait ça dans ce film, je pouvais tout lui demander. J’ai attendu le premier rendez-vous, qui m’a laissée un peu perplexe…
Pourquoi perplexe ?
M. Parce qu’il n’était pas comme il est là. Il était froid et distant.
VC. Ben, un rendez-vous de boulot, quoi.
M. Mais le deuxième rendez-vous a totalement balayé cette première impression.
Vous dites avoir écrit le rôle pour Emmanuelle Bercot. Pourquoi l’avoir choisie ?
M. Pour deux raisons. Tout d’abord, parce que sur Polisse, je l’ai trouvée belle, singulière, naturelle, spéciale, mystérieuse… Et parce que je crois qu’inconsciemment, j’aime l’idée qu’un acteur ne véhicule aucune autre histoire avant. Vincent a fait des milliards de choses, mais le créneau mec amoureux/qui se marie/père de famille, il n’y avait pas. Mon challenge se plaçait également là. Et j’ai envie que les photos de mon film ne ressemblent à aucun autre film. Et puis, c’est une actrice qui ne comprend pas qu’un réalisateur la désire, et c’est l’histoire d’une femme qui ne comprend pas ce que Giorgio lui trouve.
VC. C’est surtout ça : Emmanuelle a la candeur et l’humilité de s’étonner qu’on la choisisse pour un rôle.