Quelques mois après son séjour luzien comme membre de jury du Festival des jeunes réalisateurs, nous avons retrouvé avec plaisir Anne Le Ny pour parler de son quatrième film en tant que réalisatrice, On a failli être amies. L’histoire de deux femmes « à la croisée des chemins »…
On découvre avec bonheur Karin Viard et Emmanuelle Devos, pour la première fois réunies à l’écran. Vous aviez déjà dirigé ces deux actrices, Karin Viard dans Les Invités de mon père, Emmanuelle Devos dans Ceux qui restent. Vous êtes une fidèle ?
Je suis surtout fidèle à mon équipe technique. Je ne retravaille pas forcément avec les acteurs, mais avec Karin et Emmanuelle on s’était dit qu’on retravaillerait un jour ensemble. Et l’idée me plaisait de faire un duo de femmes. Il y a beaucoup de duos masculins au cinéma, mais peu de féminins finalement. Emmanuelle me disait d’ailleurs qu’elle n’avait jamais joué en face d’une femme tenant l’autre rôle principal. Elles étaient très contentes de jouer ensemble, avec un léger stress sur l’entente dans le jeu. Car elles sont copines dans la vie, mais la compatibilité sur un plateau est une chose différente. Et en fait, cela a marché du tonnerre de Dieu ! Elles se sont renvoyé la balle avec beaucoup de plaisir.
Vous dites d’elles que ce sont « des machines à jouer ». Qu’entendez-vous par là ?
Ce sont deux grosses bosseuses, extrêmement précises, à qui on peut demander beaucoup, que ce soit dans la construction de choses très compliquées, très sophistiquées, ou dans la capacité à lâcher prise. Etant moi-même précise et pointilleuse, quand elles commencent à jongler avec deux balles, j’ai tendance à en lancer une troisième, puis une quatrième, puis une cinquième… Et même si elles font mine de râler en trouvant que ce que je demande est difficile, elles aiment ça. Il y a un vrai plaisir de travail avec elles. Chacune fait des propositions qui vont toujours un peu plus loin, cela se construit de prise en prise et c’est très jubilatoire.
Comment définiriez-vous votre film ?
Je ne peux pas ! (Rires) C’est un trait constant chez moi, j’aborde des sujets assez sérieux et j’essaie toujours d’y mettre de la comédie. J’ai du mal à prendre au sérieux les choses sérieuses parce que je trouve que dans la vie, le burlesque peut faire irruption dans les moments les plus tragiques. J’aime dynamiter les situations dans un sens comme dans l’autre. Quand je tournais Les Invités de mon père, par exemple, Fabrice Luchini était persuadé qu’il jouait dans une comédie. Mais au fil du tournage, il m’a dit : « Oulah, ça tourne un peu vinaigre ton histoire ! Tu es sûre que tu ne veux pas rester dans la comédie ? » Non, je ne veux pas. C’est le mélange de genre qui m’intéresse.
Parlons de vos personnages. Qui sont Carole et Marithé ?
Marithé est un travailleur social, elle a envie d’aider les autres, et a un degré d’empathie et de générosité plus élevé que la moyenne. Mais même ces gens-là sont faillibles… Soudain, elle se met à manipuler Carole. Et c’est très grave pour elle lorsqu’elle s’en rend compte, parce que plus que Carole, c’est elle-même et sa droiture morale qu’elle trahit. C’est plus intéressant pour moi d’avoir quelqu’un de bien qui fait des choses pas terribles parce qu’il y a plus de conflit intérieur. Les gens tout blancs ou tout noirs, je n’y crois pas. Je suis plus intéressée par quelqu’un qui essaie de bien faire. Carole est moins affirmée, elle s’impose moins dans la vie. Du coup, ses armes passent par la duplicité. Elle a la force des faibles, elle ne sait pas tenir tête comme peut le faire Marithé, mais elle sait très bien se faire prendre en charge et susciter la compassion. La manipulation qu’elles exercent l’une sur l’autre n’est jamais animée par la volonté de prendre le pouvoir ou l’ascendant. Elles ont des choses à s’apprendre toutes les deux. Le personnage d’Emmanuelle sait obtenir ce qu’il veut et l’a toujours su. Et puis, elle a une forme de raffinement, d’hédonisme que le personnage de Karin admire.
Autre rôle important, celui de la gastronomie. La (re)découverte de la sensualité passe par la cuisine…
Le personnage interprété par Karin Viard connaît une sorte de deuxième départ. Elle s’est un peu oubliée en tant que femme après son divorce, elle est restée mère longtemps. Avec le départ de son fils, la rencontre avec Sam est comme une deuxième adolescence. Il fallait donc que cela passe par quelque chose de doux, de sensuel. Elle ne va pas plonger directement dans la sexualité, c’est un éveil qui se fait petit à petit, après un long sommeil. Je voulais vraiment que cela soit plus délicat, plus sophistiqué. Cela passe par la découverte des plats, des saveurs et c’est cette éducation au goût qui l’amène à tomber amoureuse, et à aller vers une sensualité plus affirmée.
Vous êtes gastronome vous-même ?
Je suis très gourmande, mais piètre cuisinière !
Roschdy Zem est très inattendu dans ce rôle de chef cuisinier…
J’aime prendre les gens à contre-emploi. Quand j’ai préparé le film, je savais dès le début qui interpréterait les deux femmes, mais je n’avais pas d’idée pour le rôle masculin. J’ai rencontré des cuisiniers et je me suis aperçue que l’époque des chefs ventripotents était révolue ; aujourd’hui, ce sont de véritables athlètes, assez sexy. J’ai donc cherché un acteur qui ait un physique, et qui dégage une certaine autorité car il faut de l’autorité pour diriger une brigade. Roschdy peut avoir un côté austère, cela me plaisait de le faire sourire et de lui donner un rôle plus solaire. Car il a ça en lui.
Vous dites que vous pensiez à Karin Viard et Emmanuelle Devos dès le début. Qu’est-ce que cela implique au niveau de l’écriture ?
C’est la première fois que cela m’arrive. Jusqu’à présent, j’avais évité de le faire par peur que cela me contraigne, et en fait cela a été le contraire. Au début, j’hésitais sur la distribution des rôles, mais il a vite été évident que Karin serait Marithé, et du coup, connaissant son caractère, j’ai écrit des scènes en pensant à son jeu. Elle a une force comique, et un vrai tempérament. Toutes les deux ont un sens de la rupture absolument incroyable, mais très différent. C’est pour ça qu’elles ont eu grand plaisir à jouer ensemble, parce qu’elles n’occupent pas le même terrain. L’une est de fond de court, l’autre est une attaquante, et donc elles se tirent vers le haut sans se faire d’ombre. Elles étaient très complices sur le plateau, il n’y avait aucune rivalité entre elles.
Pourquoi avez-vous eu envie de passer à la réalisation ?
Je suis d’abord passée par l’écriture. Au départ, je pensais seulement écrire. Mais dès que je suis passée derrière une caméra, je me suis dit que c’était là ma place. Même si j’aime beaucoup jouer.
Qu’est-ce que vous aimez : raconter une histoire ? Donner à voir une histoire ?
J’adore raconter des histoires !
Vous auriez pu choisir d’être romancière…
Oui. Quand j’étais enfant, je voulais être actrice ou écrivain. Je ne pensais pas du tout à la réalisation. Je crois que c’est dû au fait qu’à l’époque, il n’y avait pas ou très peu de réalisatrices. A l’exception d’Agnès Varda, qui s’inscrivait surtout dans le cinéma Art et Essai. La réalisation me permet de synthétiser mes deux envies.
Comment franchit-on l’étape technique ?
J’avais une vraie expérience des plateaux d’une part. Par ailleurs, ce n’est pas moi qui tiens la caméra, je suis davantage un chef d’orchestre. Je discute beaucoup avec les techniciens, qui me font des propositions et que j’écoute. Et puis, la place de la caméra est une question de bon sens. Il y a un moment où l’on sait qu’il faut prendre tel angle pour expliquer telle situation.
Comment préparez-vous vos films ?
Tout est écrit avant. J’écris le scénario, puis je fais une première version de découpage, de placement de caméra. C’est comme une réécriture du scénario avec tous les plans. Ensuite, avant de travailler avec les acteurs, je vais dans tous les décors avec les techniciens, je rejoue les scènes, on en discute, le chef opérateur me propose de nouvelles idées. Je refais une deuxième version et je rechange tout une troisième fois quand on commence à tourner, parce que tout à coup les acteurs vont bouger autrement, que je réalise qu’il faut un gros plan, etc.
Combien de temps prend l’écriture ?
Le temps de l’écriture correspond à six, neuf mois à peu près, le temps de construction étant le plus long. Je n’écris les dialogues que lorsque j’ai ma structure et que je sais tout ce qui va se passer pour être sûre de ne pas m’égarer.
Vous jouez dans chacun de vos films. C’est un clin d’oeil ? un choix économique ?
Oui, pour mon producteur, c’est une économie ! (Rires) Mon premier film, c’est parce que j’étais sûre de savoir faire ça puisque c’est mon métier. Les deux films suivants, j’ai fait de tout petits rôles parce que cela m’aurait fait bizarre de ne pas être dedans mais que j’avais la flemme de faire plus. Entre-temps, mon rôle dans Intouchables m’a fait gagner en notoriété ; mon producteur m’a donc conseillé d’apparaître dans celui-ci. Mais je m’écris des partitions beaucoup plus faciles à jouer que celles de mes petites camarades. Là, je me suis gâtée, je me suis fait un personnage très sympathique et très bien
habillé ! (Rires)
Vous avez de nouveaux projets d’écriture ?
Comme le moment de la sortie est toujours très stressant ‒ j’ai l’impression de repasser mon bac tous les deux ans ‒, j’essaie d’avoir un début de scénario pour avoir un projet si le film fait un flop atroce !
Vous aimeriez tourner ici, au Pays basque ?
Votre région est vraiment très belle, la lumière est superbe, mais je risque d’avoir autant de problèmes de météo qu’en Bretagne… Et c’est une Bretonne qui vous le dit ! (Rires) projet si le film fait un flop atroce !