Le réalisateur Stéphane Brizé, révélé au public avec Je ne suis pas là pour être aimé, puis Mademoiselle Chambon, était à Saint-Jean-de-Luz le 28 août 2012 pour présenter en avant-première son nouveau long métrage, Quelques heures de printemps.
Heureux de revenir à Saint-Jean de-Luz, un an après ? (Stéphane Brizé était membre du jury du festival des Jeunes Réalisateurs en 2011, Ndlr)
Extrêmement heureux ! Quand j’étais venu pour le Festival, j’avais trouvé l’accueil de Xabi Garat et de toute l’équipe tellement super que je tenais à venir présenter mon film chez eux et que j’étais très content de revenir ici. Le Pays basque est un des grands chocs esthétiques de ma vie : j’aime l’arrière-pays, l’architecture, les vallons, l’herbe verte, le rouge des toits et le blanc éclatant des crépis.
J’ai vu Quelques heures de printemps ce matin. Dois-je vous remercier de m’avoir fait pleurer pendant plus d’une heure et demie ?
(Sourire). C’est moi qui vous remercie d’avoir pleuré. Je fais des films pour donner de l’émotion, c’est donc le plus beau commentaire qu’on peut me faire. Vous avez dit l’essentiel. Ecrivez que vous avez pleuré et c’est tout, je préfère ça à tous les discours qu’on développe pour tenter d’expliquer un film. Tout ce que je pourrai dire ne va faire que noyer l’essentiel, parce que tout ce qui va être dit, hormis l’émotion qui est pour moi l’essence du film, servira uniquement à avoir l’air un peu intelligent. Le préalable à tout est l’émotion. Il n’y a pas de réflexion s’il n’y a pas d’émotion. Je revendique de faire des films populaires dans le sens où ils suscitent des émotions et des histoires accessibles à tous. Même si les idées sous-tendues sont philosophiques, elles sont exprimées simplement ; les questions que se posent ces personnages sont des questions de tous les jours, qui ramènent à la seule vraie question : « qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? »
Le problème de communication est récurrent dans vos films…
C’est vrai que ce thème m’obsède et que mes personnages n’arrivent pas à parler. Je trouve qu’à partir du moment où on nous a donné la capacité de parler et de réfléchir, c’est quand même dommage de ne pas l’utiliser. Après, on peut aussi beaucoup parler pour ne rien dire… Je connais bien ces milieux modestes que je décris, et leurs codes ; je ne sais pas comment on communiquerait dans une famille d’universitaires, mais « chez ces gens-là » comme dirait Brel, on ne parle pas. On ne parle pas parce qu’on n’a pas les outils pour faire semblant, alors on encaisse.
Les silences sont nombreux et lourds. Comment filme-t-on le silence ?
Il faut simplement s’autoriser à le filmer. Les silences font partie de la vie. Je filme pour essayer de capter des moments de la vie, c’est la seule chose qui m’intéresse sur un plateau. A une époque où le cinéma se met à ressembler à la télé, où il ne faut surtout pas de silence parce qu’il est synonyme de vide et qu’on redoute que les gens zappent, pour moi le silence n’est pas rien. Bien sûr, il faut mettre en place une situation forte pour s’autoriser les silences. Sinon on va s’ennuyer.
Votre scénario est-il très écrit ou laissez-vous une place à l’improvisation ?
Le scénario est très écrit, mais je le réécris sur le tournage en fonction de la réalité que je découvre des acteurs et de la manière dont les scènes sont appréhendées. Je donne le texte aux acteurs au dernier moment, je veux qu’ils aient en tête la structure mais sans connaître le texte par coeur et on tourne sans répétition. Je leur indique une direction, mais je me refuse à leur donner la manière d’y aller. La vérité organique d’un acteur sera toujours cent fois meilleure que le meilleur des textes. Je fais confiance à l’humanité d’un acteur. « Je fais des films pour donner de l’émotion. »
Vous dites de Vincent Lindon que c’est votre « frère de mélancolie, de colère et de doute ».
C’est même plus que ça, j’ai rencontré en Vincent Stéphane Brizé acteur. Je dis souvent, en forme de boutade, que si j’avais été acteur, j’aurais été Vincent Lindon. Il fonctionne exactement comme moi, on est faits du même bois. On se retrouve autour d’une nécessité commune, ses colères sont les miennes, on a les mêmes enthousiasmes. On est en connexion totale, c’est très émouvant.
Cette fusion influe-t-elle sur votre écriture ?
Il faut faire attention à ce que cela n’influe pas trop justement. La crainte, si j’ai constamment l’image de l’acteur en tête, est que le personnage se réduise à ce qu’est l’acteur ; or, le personnage que je crée est plus vaste que ça. La difficulté, au moment de l’écriture, était donc de régulièrement oublier Vincent (sourire). C’est la première fois que je tourne deux fois avec le même acteur, mais c’est aussi la première fois que je rencontre quelqu’un qui m’incarne.
En revanche, vous ne pensiez pas à Hélène Vincent pour interpréter le rôle de la mère…
En fait, on ne peut pas faire plus opposé entre ce qu’est Hélène dans la vie et le personnage d’Yvette ! Et pourtant, dès qu’on a fait des essais, elle a immédiatement posé le personnage, sa sécheresse, sa nervosité, sa rugosité. Et elle a apporté en plus tout aussi immédiatement − et ça, seuls les grands acteurs sont capables de le faire − l’histoire du personnage, toutes ces sous couches qui le font exister, lui donnent de l’empathie et de la vérité.
C’est un grand rôle dans lequel elle est absolument remarquable et bouleversante. Son interprétation mériterait une nomination aux César…
Elle mériterait le César !
Le sujet du suicide assisté, même s’il ne constitue pas le coeur de l’histoire, permet d’aborder de façon originale le thème des rapports difficiles entre une mère et son fils.
Le suicide assisté n’est effectivement pas le sujet du film, mais il crée quelque chose de dramatiquement puissant : une date limite. On est dans cette tension. Le spectateur a le temps de faire connaissance avec les personnages et de développer une certaine empathie pour chacun d’eux, mais il sait que l’un va mourir et il attend, espère qu’ils vont réussir à se dire l’essentiel dans le laps de temps qu’il leur reste. Face à deux personnages qui ne parlent pas, cette attente est encore plus stressante. C’est un outil dramaturgique, très particulier, jamais vu dans une fiction en France. Et même si mon film n’a aucune volonté militante, je trouve intéressant que l’on en parle et qu’une réflexion s’ouvre sur ce sujet de société.