A la suite d’un échange d’insultes et d’un refus obstiné de s’excuser, deux hommes se retrouvent happés dans l’engrenage d’un combat judiciaire qui semble peu à peu les dépasser. Cela se passe au Liban, où les guerres civiles ont laissé des plaies ouvertes, mais cela pourrait se passer n’importe où, tant les questions que pose ce film bouleversant nous concernent tous : à quel point la pression d’un groupe peut-elle avoir raison de notre libre arbitre ? Quelle capacité avons-nous à oublier nos rancoeurs et à pardonner, pour avancer ?
Loin de la violence du prétoire de L’Insulte, un échange tout en douceur avec Julie Gayet, coproductrice du film.
Si le film s’inscrit dans le contexte particulier de la guerre du Liban et du traitement des réfugiés palestiniens, il soulève des questions universelles, notamment celle de la pression que peut exercer un groupe. Car les deux protagonistes voient leur différend « récupéré » par la cause politique.
Il y a effectivement une réflexion sur l’activisme. Appartenir à un groupe modifie ou crée une identité, on devient le groupe ou on se laisse mener par le groupe, alors qu’individuellement, on pense peut-être autrement.
Se pose également la question du pouvoir des médias qui alimentent et exacerbent les antagonismes.
Cela pose la question de la façon dont les médias utilisent, mais dont ils sont utilisés également. Dès que l’on pose une caméra quelque part, cela modifie les choses, et il semble impossible d’être neutre. Krzysztof Kieślowski écrivait dans ses mémoires qu’il était passé du documentaire à la fiction parce que l’observation d’un phénomène transforme ce phénomène. Alors qu’il réalisait un documentaire sur la justice en Pologne, il s’est aperçu que le juge était beaucoup plus clément lorsqu’il était filmé. S’il voulait que son propos soit juste, il devait passer par la fiction. Cela touche aux limites du journalisme : pouvoir dire, montrer, éventuellement dénoncer, mais avec le risque de monter en épingle de simples faits. Il en va de même pour l’avocat qui grossit ou, au contraire, passe certains éléments sous silence, gratte, cherche des choses qui font mal dans le passé des témoins et expose sur la place publique des points très personnels. Ce double tranchant explique la complexité de porter plainte. J’aime dans le film l’importance de la justice pour permettre une résilience. Car c’est un film sur la résilience et sur la paix.
La paix est portée par les femmes qui tentent de pondérer la fureur de leurs époux.
Il faut ajouter une troisième femme, qui occupe la fonction de juge. La femme est ici à une place stratégique, de pouvoir. Ziad montre des femmes dans la nuance, mais pas effacées. Elles peuvent être en désaccord avec leurs maris, elles apportent un contrepoint et font avancer la discussion en faisant réfléchir les hommes. Ziad place les femmes sur un plan d’égalité, comme on les voit peu (pas assez) au Moyen-Orient. Avec la nouvelle génération, si les femmes ont accès à de nouveaux métiers, l’égalité homme/femme fera peut-être changer le monde.
Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
J’aime beaucoup le travail de Ziad, j’avais adoré son précédent film, L’Attentat. Il bouscule le spectateur et remet sans cesse son point de vue en question. Ce qui l’intéresse, c’est l’humain, et je trouve ça très beau.
C’est moi qui l’ai appelé. Il avait déjà un producteur, mais la situation était bloquée à ce moment-là. J’ai suggéré de tout tourner à Beyrouth pour baisser les coûts et de se tourner vers des fonds privés pour financer ce film. Comme je suis très respectueuse de mes camarades producteurs et que j’adore les coproductions, il était hors de question que l’on fasse le film sans le producteur historique de Ziad.
Quelle productrice êtes-vous ?
J’apporte un regard extérieur, une écoute, un conseil. J’aime les films de metteurs en scène, portés par le metteur en scène et non par l’histoire ou le casting. J’aime découvrir et aider de nouveaux réalisateurs qui sont des artistes, qui inventent de nouvelles écritures, de nouvelles façons de filmer, qui ont du caractère, une identité et un univers forts. L’enjeu est bien évidemment de comprendre leur univers, de les enrichir de quelques idées ‒ si je peux, très humblement ‒, de poser des questions au moment de l’écriture pour être sûrs que l’on fait le même film. Il faut que tous les éléments du projet soient cohérents et justes. Tout mon travail est concentré sur l’intérêt du film. Le montage est également un moment très important, qui permet de vérifier si les intentions de départ ont été tenues, et éventuellement d’apporter des corrections. Il faut être sincère, et pouvoir dire à un réalisateur qu’il s’est trompé sur certains choix, même si ce n’est pas toujours agréable à entendre. Il faut également accompagner la stratégie de sortie du film. La production est un travail d’accompagnement du début du projet jusqu’à sa promotion.
Vous donnez votre avis sur le casting également ?
Oui et non. Oui, par rapport au budget du film. Mais je considère que c’est au réalisateur de choisir ses acteurs, avec son directeur de casting.
Qu’est-ce qui motive vos choix ?
Mon moteur, c’est la sincérité. L’universel commence quand on pousse les murs de sa cuisine. Je privilégie les auteurs, les réalisateurs qui ont quelque chose de nécessaire à dire.
Comment L’Insulte a-t-il été accueilli au Liban ?
Extrêmement bien. Bien sûr, les Palestiniens pensent qu’il est pro-chrétien et les chrétiens qu’il est pro-palestinien, ce qui veut dire que c’est réussi, mais il a fait une très belle sortie, une des meilleures au Liban. On était contents.
Le film a reçu le Prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise. Question pour poursuivre la querelle : lequel des deux acteurs a été primé ?
Ce qu’il y a de fou, c’est que le jury voulait le donner aux deux acteurs principaux, c’était un acte symbolique de donner le prix aux deux. Mais dans les statuts du festival, il est interdit de donner un ex aequo ! Il a donc fallu trancher, ce qui ramène à l’épineuse question du film et du procès. C’est Kamel El Basha, l’acteur palestinien, qui l’a reçu. C’est un acteur de théâtre, et c’était son premier rôle au cinéma. L’acteur libanais, qui est une vraie star au Liban, était ravi que ce soit lui qui reçoive le prix.
Le film est également nommé aux Oscars, dans la catégorie « Meilleur film étranger ».
C’est énorme ! C’est le premier film libanais sélectionné aux Oscars depuis trente ans au moins, c’est historique pour le Liban. Et ce sera peut-être plus facile pour nous de monter nos prochains projets, on l’espère en tout cas. On se dit toujours que les prix vont amadouer banquiers et financiers (sourire).
Vous évoquiez l’importance de l’accompagnement de la sortie d’un film. Peut-on déduire que cette nomination couronne une promotion particulièrement travaillée ?
Il est vrai qu’un film a davantage de possibilités d’être éligible dans cette catégorie s’il a été présenté dans différents festivals. L’Insulte a été présenté à Venise, à Toronto et à Telluride. C’est l’un des premiers festivals américains qui sélectionne des films à l’étranger. Ce festival, tout comme Cannes, incarne la cinéphilie. Le film a gagné différents prix aux Etats-Unis, il a obtenu le prix du Public à Valladolid, il a cartonné en Italie… Il faut espérer que la France lui réservera le même accueil.