Fidèle à Saint-Jean-de-Luz et au Select, Jean-Pierre Améris est venu y présenter son nouveau long-métrage, Une famille à louer, une comédie romantique sur la famille. Et si, effectivement, « la plus belle des familles (était) celle qu’on s’invente » ?
Vous revenez avec une comédie. Envie de légèreté après deux films sérieux (L’Homme qui rit et Marie Heurtin, ndlr)?
En réalité, on n’écrit pas un film après l’autre, on les écrit un peu en même temps. J’ai eu l’idée de ce film en 2011, son écriture a pris deux ans, et j’ai fait Marie Heurtin après. Mais je ne me dis pas que je vais refaire une comédie, c’est le sujet qui impose le style. C’est mon dixième film, ma deuxième comédie, et c’est par la comédie que je parviens à être le plus autobiographique. Dans Les Emotifs anonymes, je parlais du handicap que constitue l’hyperémotivité. Là, c’est ma découverte de la vie de famille relativement récente, qui a provoqué l’envie de ce film. Il y a sept ans, j’ai rencontré Murielle Magellan, la scénariste du film, sur l’adaptation de La Joie de vivre d’Emile Zola pour la télévision, et je suis tombé amoureux d’elle. J’ai découvert la vie de famille avec cette mère célibataire d’un petit garçon de 9 ans. Nos deux caractères sont un peu, toutes proportions gardées, ceux de Violette et Paul-André. Moi sombre, pessimiste et très maniaque ; elle, battante et optimiste. J’ai découvert le lien avec un petit garçon, moi qui ne pensais pas pouvoir compter pour un enfant. J’ai eu envie de raconter ça, et comme c’est joyeux et drôle, cela s’imposait sous la forme d’une comédie.
Vous évoquez Les Emotifs anonymes, l’affiche elle-même le rappelle. Vous n’avez pas eu peur d’une redite ?
Je n’ai jamais pensé en termes de redite ni de proximité, car ce film me semble assez différent des Emotifs anonymes. Le point commun, c’est le personnage masculin qui est très proche de moi, mais très près de Benoît Poelvoorde également. Le rôle est vraiment écrit pour lui, inspiré par lui. Nous avons des points communs, notamment celui d’arriver à la cinquantaine sans enfants ‒ on peut vivre sans enfants, bien sûr, mais c’est quand même une petite mélancolie ‒, et puis son envie comme la mienne de se lier, et en même temps ce repli, ce besoin d’être tout seul, ce mélange d’affection et de misanthropie. Mais dans ce film, les personnages sont plus adultes que dans Les Emotifs anonymes où ils étaient vraiment « bloqués ». Paul-André et Violette prennent le risque du lien et osent davantage.
Vous dites vous être inspirés tous deux de votre histoire personnelle. Comment avez-vous écrit ? Vous vous êtes échangé les scènes pour croiser vos deux visions ? L’un a écrit les scènes sur l’autre ?
Non, on a vraiment écrit ensemble. Nous avions envie de mettre des choses de nous dans les personnages, Murielle en a mis beaucoup, moi aussi, notamment le fait que le beau temps me déprime. Idem pour la phrase « le monde court à sa perte depuis toujours » que j’aurais prononcée… (Rires). C’est une forme d’autodérision et c’est nourri de nous. Il y avait surtout cette envie de raconter cette famille de bric et de broc qui va fonctionner finalement, en ayant en tête cette phrase de Coluche que j’aime beaucoup, « La plus belle des familles, c’est celle qu’on s’invente. » Et c’est ce qui se passe : deux enfants de deux pères différents, un homme et une femme qui n’ont rien à voir ensemble, mais, parce qu’ils se respectent, qu’ils ont de l’humour et de la complicité, l’alchimie opère. J’ai toujours voulu faire un film sur la famille ; je l’avais simplement évoquée dans mes précédents films, mais jamais placée au centre. Je voulais mettre des choses personnelles, comme venir d’une famille où il y a ce handicap des sentiments, cette incapacité à témoigner de la tendresse. C’est compliqué de faire avec. De même, la scène du pique-nique. J’ai le souvenir de ces repas dominicaux où l’on se moquait toujours de quelqu’un ‒ cela pouvait être moi ‒ et quand la personne se vexait, les autres lui disaient : « Mais on plaisante ». Je déteste ce « on plaisante » qui dit beaucoup de choses… Il y a de la violence dans la famille. J’évoque également la dépendance affective à un frère (à une sœur pour moi). Pour arriver à créer sa propre vie, il faut réussir, non pas à rompre, mais à se détacher. C’est un film sur le détachement. Paul-André se détache de son majordome, Violette se détache de son frère.
Le film s’est donc écrit ainsi, avec d’importantes touches autobiographiques, durant deux ans. Si je le pouvais, je ferais beaucoup plus de comédies, mais c’est difficile dans le rythme, les répliques, dans l’équilibre entre sincérité et drôlerie. Murielle m’apporte beaucoup car elle est auteur de théâtre.
Ecrire cette histoire vous a-t-il permis de mettre votre histoire personnelle à distance, ou c’est parce que vous aviez « digéré » vos difficultés familiales que vous avez pu écrire ?
Deuxième solution (sourire). Il faut avoir pris un peu de recul pour réussir à en rire. Lors des rencontres avec le public, je vois que les gens rient beaucoup, mais qu’ils sont également touchés. On a tous les mêmes rapports à la famille : quand on n’en a pas, on est triste ; quand on en a une, on la trouve pénible. C’est pour cela que j’ai voulu une comédie, parce que c’est la seule façon de s’en sortir. Même la fin est un jeu avec le happy end en déroulant toutes les catastrophes qui nous pendent au nez. Mais comme ils sont complices, ils en rigolent.
Le spectateur peut être arrêté par le trait un peu trop appuyé dans la description des deux personnages : Paul-André, riche, seul et mal-aimé, Violette, pauvre mais heureuse. N’est-on pas dans la caricature ?
Ce n’est pas caricatural. Je rencontre pas mal de femmes qui me disent : « Violette, c’est moi. » Cela correspond donc à quelque chose, et à Murielle tout d’abord. La richesse mise à part, le personnage de Paul-André me correspond : vous viendriez chez moi, il n’y a pas un objet qui a bougé depuis quinze ans (sourire). Et puis, il faut considérer que mon film est un conte, et dans un conte, de La Belle et la Bête à Pretty Woman, on retrouve la fable romantique avec le prince triste d’un côté et la jeune femme pauvre et joyeuse de l’autre. Plutôt que caricature, il faut parler de convention du conte. Il n’y a pas de satire, je ne veux pas me moquer de mes personnages, j’ai de l’empathie avec eux. J’insiste vraiment sur le terme de conte. D’ailleurs, même les décors relèvent du conte. La maison de Paul-André, que l’on voulait moderne, très froide, sans couleur, mortifère. C’est une maison de Mallet-Stevens qui se situe au sud-ouest de Paris. Concernant la maison de Violette, je ne voulais pas d’un pavillon ou d’une HLM, d’abord parce que ce n’est pas une comédie réaliste, et surtout parce que venant d’un milieu modeste, je suis agacé par la façon dont on charge toujours la représentation de la pauvreté. Ce sont forcément des gens tristes, alcooliques…une image glauque contre laquelle je m’insurge. J’avais au contraire en tête cette petite cabane des Temps modernes où Charlot et Paulette Goddard vivent heureux. On a eu du mal à la trouver, parce qu’il n’y en a pas tant que ça en France, mais on l’a finalement dénichée au nord-est de Paris. En revanche, l’intérieur a été fait en studio parce que l’intérieur de la vraie était trop petit et que je voulais une mise en scène avec beaucoup de déplacements. Mais le décor est très inspiré du pavillon de Murielle.
La mise en scène est en effet très dynamique, impression renforcée par la grande variété de cadrages.
C’est le talent de la chef opératrice, Virginie Saint-Martin, qui a également travaillé sur Marie Heurtin. On voulait une lumière très belle, qui valorise les personnages, c’est toujours mon souci. Chez Violette, les couleurs sont vives, chaudes. Et au cadre, elle est vraiment épatante, parce qu’elle est en empathie avec les acteurs ; elle a une façon de filmer très sensuelle.
C’est également très bien monté, par Anne Souriau. On a énormément travaillé sur le montage et beaucoup de scènes sont parties. En général, il faut compter 90/100 scènes environ pour un film d’une heure et demie, on en a éliminé 25 pour éviter les redites.
Venons-en au casting. Et commençons par les enfants qui sont épatants. Calixte Broizin-Doutaz, qui interprète Auguste, tout d’abord. Comment l’avez-vous trouvé ?
J’avais dit au producteur que je voulais réaliser une comédie romantique, mais avec des enfants parce que je trouve que bien souvent ils sont écartés. Là, je voulais que l’homme tombe amoureux d’une femme et de ses enfants, et vice versa. De plus, ce sont les enfants qui portent le comique de situation, il suffit d’un plan sur eux pour que l’étrangeté du comportement des adultes fasse sourire.
Il y a donc eu un long casting enfants, et quand Calixte est arrivé, je l’ai trouvé magnifique, dynamique, épatant. Je n’avais pas pensé à un enfant métis, mais c’était très bien, parce qu’ainsi il était évident qu’il y avait deux pères différents. Comme je ne considère pas les enfants différemment des adultes, on a beaucoup travaillé. En revanche, ce que j’explique aux enfants, c’est qu’il ne faut pas se vexer de mes observations une fois qu’on a dit « coupez ». On cherche ensemble la spontanéité. Comment faire pour rester naturel et spontané quand on tourne une scène de repas, par exemple ? Une scène de repas correspond à une journée de tournage parce qu’il y a un plan sur chacun. Vous vous voyez manger de la pizza toute la journée ?
D’autant qu’elle a vraiment l’air mauvaise !
Comment faire à l’image pour donner l’impression que vous entendez ou goûtez une chose pour la première fois ? La clé du cinéma, c’est dans la tête, et ça passe dans les yeux. On voit si vous attendez de dire votre réplique ou si vous vivez la scène.
Calixte avait déjà fait de la figuration, mais c’était son premier rôle. Et jouer lui plaît.
Pauline Serieys, elle, a déjà une expérience cinématographique. Elle a joué dans Palais royal de Valérie Lemercier, et dans deux ou trois téléfilms. Mais elle n’est pas complètement sûre de vouloir être actrice ; elle vient d’avoir son bac avec mention très bien et entre en hypokhâgne. Son rôle me permettait de mettre en scène des choses de l’enfance. J’étais en réaction contre mon milieu, et j’ai pu être con parfois. Je pense notamment à la scène au restaurant où elle a honte de sa mère, que j’ai personnellement vécue. Et que j’ai regretté depuis. Il ne faut jamais avoir honte de ses parents.
Le duo Calixte/Pauline fonctionne très bien avec les adultes également.
Oui, parce que les adultes ont joué avec eux. Benoît et Virginie me disent que c’est rare, mais c’était vraiment un quatuor. Je voulais cela et j’ai vraiment encouragé Benoît, qui a un très bon rapport avec les enfants, à jouer avec eux. Au final, c’est une jolie famille, ça passe bien entre eux.
Comment avez-vous choisi Virginie Efira ?
C’est le destin. Je ne la connaissais pas, nous nous sommes rencontrés au congrès d’exploitants de Deauville, où les distributeurs présentent leurs bandes-annonces. Virginie était là pour Vingt ans d’écart, moi pour L’Homme qui rit. Je terminais alors l’écriture du scénario d’Une famille à louer. Sur la route du retour, nous avons discuté librement du scénario, et je l’ai trouvée épatante parce qu’elle a ce que peu d’actrices ont : pas de sens de son image, capable d’aller vers le burlesque, d’être attifée comme Julia Roberts dans Erin Brokovich, une spontanéité à l’américaine comme Cameron Diaz, des filles qui vont assez loin dans la comédie. Je crois que c’est vraiment l’esprit belge, ils sont moins cartésiens, très partants pour la fantaisie et beaucoup moins soucieux de leur image que les Français.
Benoît Poelvoorde et Virginie Efira avaient-ils déjà travaillé ensemble ?
Je crois qu’ils avaient fait un film belge, et ils avaient quelques scènes dans Mon pire cauchemar d’Anne Fontaine. Ils étaient vraiment heureux de tourner ensemble, ils s’apprécient beaucoup et il y a une grande confiance entre eux, qui est jolie à filmer.
La scène où Violette raconte à ses enfants comment elle a rencontré Paul-André est particulièrement touchante.
Je crois que c’est un des meilleurs moments, c’est joli, on le sentait en tournant la scène. Le trouble qui vient… C’est aussi une métaphore sur le jeu : à jouer, cela devient vrai. Il y a très peu d’improvisations, mais là il y en a une de Benoît. Quand elle dit dans son cou : « C’était… c’était… » Tout d’un coup, j’entends Benoît dire : « C’était un lundi. » Ça, c’est du Poelvoorde. Sur le moment, je l’ai engueulé, je trouvais ça complètement con. On a mis deux ans à écrire, il faut respecter les dialogues. Et en fait, c’est très drôle, et je l’ai gardé évidemment.
Vous avez pu dire de lui que c’était votre Antoine Doinel…
Je me retrouve en lui, c’est vrai, le physique, le caractère… C’est chouette d’avoir quelqu’un. Mais on se projette toujours, vous savez, il y a une part d’alter ego avec Isabelle Carré également.
Justement, Pauline, jeune fille blonde, le teint pâle, ne peut-elle pas faire penser à Isabelle Carré à ses débuts ?
Tout le monde me le dit, c’est dingue ! Là, c’est vraiment mon inconscient… On va voir si Isabelle y pense.
Vous êtes en pleine tournée promotionnelle. Est-ce un moment qui vous plaît ou que vous appréhendez ?
C’est plus que de la promotion, c’est aller voir les gens. Pour moi, un film est fini quand j’ai pu rencontrer le public. Le public, c’est l’aboutissement. Je suis de la vieille école du ciné-club. Et c’est important d’aller dans les villes et villages de France pour savoir ce que les gens attendent, ce qu’ils ont aimé ou pas. Ce film a pris cinq ans de ma vie, c’est important d’avoir un retour sur ce travail.