« T’as pas de quoi prendre un avion, ni même un train
Tu pourrais pas lui offrir un aller Melun
Mais tu l’emmènes puisque tu l’aimes
Sur des océans dont les marins n’ont jamais jamais vu la fin
Tu as le ciel que tes carreaux t’ont dessiné
Et le soleil sur une toile de ciné
Mais tu t’en fiches, mais tu es riche
Tu l’es puisque vous vous aimez »
La chanson de Serge Reggiani, qui donne son titre au cinquième long-métrage d’Ivan Calbérac, raconte l’histoire de la famille Chamodot. L’histoire d’un amour, parfois mal exprimé ou maladroit, mais profond et inaltérable, sur fond de fantaisie et de douce dinguerie. Emporté par la folie jubilatoire de Valérie Bonneton et de Benoît Poelvoorde, la drôlerie des dialogues rythmés d’Ivan Calbérac et une bande originale réjouissante, on sort de la salle, heureux, léger, en fredonnant : « Venise n’est pas là où tu crois / Venise aujourd’hui c’est chez toi / C’est où tu vas, c’est où tu veux /C’est l’endroit où tu es heureux. »
Venise n’est pas en Italie a d’abord été un roman, votre premier roman, publié en 2015. Pourquoi avez-vous décidé de l’adapter pour le cinéma ?
Beaucoup de matière du texte donnait envie de le transposer à l’écran. Il y a une partie road movie, que j’ai toujours eu envie de réaliser, il y avait ces personnages hauts en couleur que je voulais voir incarnés par de grands acteurs. Quand j’ai écrit le roman, j’avais dans un coin de ma tête d’en faire un film.
Quelles ont été les principales difficultés à adapter ce texte, qui se présente comme le journal intime d’un adolescent ?
La difficulté est de s’éloigner de ce qui est foncièrement littéraire, en l’occurrence le ton de l’adolescent. Je devais gommer le dialogue intérieur du personnage parce que je ne voulais pas d’une voix off, que je trouve fastidieuse. Tout ce que je voulais exprimer devait passer par des scènes dramatisées, il fallait projeter les conflits intérieurs à travers des conflits extérieurs ou des dialogues avec d’autres personnages… Cela a été le gros de l’adaptation. Et puis, je l’ai modernisé (le roman se passait à la fin des années 1980) parce que je voulais que l’action se passe aujourd’hui pour toucher toutes les générations.
En écrivant l’adaptation, vous pensiez à Valérie Bonneton et Benoît Poelvoorde pour incarner les Chamodot ?
Oui, immédiatement, parce que j’avais envie d’acteurs qui incarnent cette folie et qui n’aient pas besoin de la jouer. Les deux ont ce petit grain qui fait que tout prend de l’ampleur et de l’incohérence. Et puis tous deux ont une grande force comique.
Ils avaient déjà travaillé ensemble ?
Ils avaient simplement fait un sketch dans Ils sont partout d’Yvan Attal et ils avaient très envie de rejouer ensemble. Quand j’ai rencontré Benoît il y a un an, il a été aussitôt enthousiasmé par le personnage de Bernard Chamodot, son seul souci était de savoir qui allait incarner sa femme. Quand j’ai répondu que ce serait Valérie Bonneton, il a eu un immense sourire.
Leur duo fonctionne vraiment bien. Ils ont le même rythme et se répondent à la perfection. Cet unisson a nécessité beaucoup de travail préparatoire ?
Pas tant que ça. Ils sont tout de suite justes. Et puis ce que j’adore avec ces deux acteurs, c’est qu’ils ne mettent aucune distance entre eux et leur personnage. Ils ont quelque chose de désinhibé qui fait du bien aux spectateurs. Les Chamodot ne s’excusent pas d’être qui ils sont, ils assument leur différence. Et ils ne cherchent pas non plus à être autre chose que ce qu’ils sont.
Au grand dam de leur fils Emile, qui aspire à se fondre dans la masse et à avoir la même vie que ses copains de classe. Il vit dans une caravane, entre un père hurluberlu et une mère, pasionaria du bio, qui lui teint les cheveux en blond « parce qu’il est plus beau comme ça ».
La teinture est la métaphore de nos éducations, où l’on a du mal à accepter nos enfants tels qu’ils sont, où on leur demande de faire des choses qu’ils n’ont pas forcément envie de faire, des études qui ne leur plaisent pas, un sport qu’ils n’auraient pas choisi ou de la musique… C’est rare d’accueillir ses enfants tels qu’ils sont. Emile rejette ses parents, mais avec cette teinture, c’est le premier à être rejeté en réalité. Ce qui est compliqué dans l’éducation, c’est de démêler le bon du mauvais. Nos parents nous aiment, ils nous donnent des choses essentielles, mais aussi parfois toxiques ou violentes. C’est le chemin d’une vie de se libérer de son éducation. C’est un film qui parle de grandir. Emile fait ce chemin de dire non à l’inacceptable dans son éducation.
Comment avez-vous choisi Hélie Thonnat, qui incarne Emile ?
Je cherchais un acteur capable de faire passer des émotions en parlant peu. Il faut que le spectateur ressente ce qu’il ressent, donc il fallait qu’il soit très expressif. Hélie a cette poésie, cette justesse dans le jeu, et cette capacité à faire passer toutes les émotions. Il est très doué. Valérie et Benoît l’ont tout de suite adoubé sur le plateau, c’était pour eux un véritable enjeu d’avoir un partenaire de jeu à la hauteur.
Le film parle aussi d’amour, celui du premier émoi amoureux mais aussi celui qui dure, malgré les difficultés et les désillusions.
La première fois, c’est bouleversant. Le trouble, la gêne, le cœur qui bat… On se souvient tous de son premier amour. Et il y a aussi, en effet, l’amour soumis à l’épreuve du temps, les promesses qu’on se fait dans un couple et qu’on ne tient pas toujours. Avec ce voyage à Venise, Bernard Chamodot fait le voyage de noces qu’il n’a jamais fait, pour regagner le cœur de sa femme. C’est une famille vivante, pleine de joie et d’amour, et c’est ce qui fait son charme.
Le tournage à Venise a-t-il été contraignant sur le plan technique ?
On avait une équipe italienne pour des raisons logistiques de déplacement en bateau. On avait une équipe légère, en steadicam pour s’adapter à la géographie. Les contraintes ont été essentiellement horaires, par rapport aux lieux touristiques auxquels on n’avait plus accès à partir de 10 heures. Mais toutes ces contraintes avaient été anticipées donc tout s’est très bien passé, et il n’y a pas eu de retard ou de complication. Tourner à Venise a été une grâce parce qu’on se levait tôt le matin et qu’on avait une lumière incroyable. Où que l’on pose la caméra, c’est beau.
On ne peut pas ne pas parler de la musique. Tout d’abord la magnifique chanson de Serge Reggiani, qui vous a inspiré le titre et qui colle parfaitement à cette drôle de famille.
Cette chanson raconte l’histoire de cette famille. Ce titre, que j’adore, exprime que les choses ne sont pas forcément là où l’on croit qu’elles sont. Il dit aussi que le bonheur est en nous.
Et puis cela crée une curiosité. Dans les salons du livre où je dédicaçais mon roman, les gens me disaient : « Si, si, Venise est bien en Italie. » (Rires.) A l’inverse, quand je suis arrivé à Venise, l’équipe italienne m’a dit : « Tu as raison, Venise c’est pas en Italie, nous sommes Vénitiens, pas Italiens ! »
L’autre titre, incontournable et source de scènes hilarantes, est A.I.E (A Mwana) de Black Blood…
C’est une chanson africaine des années 1970 qui dégage une énergie incroyable. Et ce père qui chante à tue-tête dans la voiture doit rappeler à beaucoup les départs en vacances qu’on a pu faire. J’avais envie de faire un film qui nous fait partir en vacances, avec une famille inclassable qui ne fait rien dans les clous. C’est rafraîchissant, et en même temps cela parle du monde d’aujourd’hui parce qu’il y a un choc social entre deux familles ‒ la douce folie des parents d’Emile et une certaine arrogance dans la famille de Pauline ‒, mais d’une manière légère et, j’espère, jubilatoire.