Quelques jours à peine avant la sortie nationale, Martin Provost est venu présenter Violette, son dernier film, au public luzien.
L’occasion d’un échange riche avec un écrivain, réalisateur, esthète, qui ressemble à ses films : élégant et subtil.
Votre nouveau film présente des similitudes avec Séraphine : vous mettez une nouvelle fois en lumière une artiste psychologiquement fragile,
qu’un mentor prend sous son aile, et vous vous intéressez au processus de création.
Ce sont en effet deux films qui se répondent, ils sont presque nés ensemble. J’ai rencontré René de Ceccatty au moment où j’ai moi-même publié un roman autobiographique qui m’a fait beaucoup de bien. Quand il m’a interrogé sur mes projets, je lui ai dit que j’allais tourner Séraphine. Il m’a alors demandé si je connaissais Violette Leduc, parce qu’elle avait écrit un texte sur Séraphine qu’elle adorait. J’ai trouvé ce texte si magnifique que j’ai eu envie de travailler sur Violette. J’ai retrouvé quelque chose de Séraphine en tournant Violette, tout en ayant le sentiment d’être allé plus loin. Le sujet est très profond pour moi : j’écris moi-même, l’écriture fait tellement partie de ma vie que je sais très bien de quoi je parle.
De la même manière, pour la seconde fois, vous faites le choix du titre prénom, qui donne une humanité au personnage et crée une intimité avec lui.
Le prénom crée en effet une intimité immédiate avec quelqu’un. Le prénom, pour moi, c’est l’enfant qui est en chacun de nous et qu’on peut ne pas perdre si l’on fait attention. En tout cas, Séraphine et Violette ne l’ont pas perdu.
La création est-elle nécessairement solitaire et enracinée dans la souffrance ?
La création n’est pas quelque chose de facile. Oui, le créateur est seul, il souffre. Il y a bien sûr des moments de bonheur et de plénitude, mais la solitude est en effet nécessaire, l’isolement est fécond parce qu’il oblige le créateur à puiser en lui-même. Je prends souvent l’image des oiseaux en cage : si vous mettez le compagnon dans la cage, l’oiseau ne chante plus. Seul, il chante parce qu’il appelle l’autre. De la même manière, l’artiste est seul et il appelle, et c’est son chant qui touche l’être humain au coeur. C’est le propre de la poésie, par exemple.
Consacrer un film à Violette Leduc répond-il à un désir de réhabilitation de cette artiste, ou s’agit-il uniquement de l’envie de partager le plaisir que vous avez eu à la découvrir ?
Non, il n’y a aucune volonté de « réhabilitation » car je ne sais pas si mon film va plaire aux spectateurs. Je cherche uniquement à montrer quelque chose qui m’a touché, et à partager cet amour de la littérature et de la langue avec un public. Si j’y parviens, j’aurai gagné quelque chose. Ma place au paradis, peut-être ! (Rires)
Si vous le voulez bien, nous allons d’abord parler technique. Quelles sont les contraintes d’un film d’époque ?
Elles sont énormes ! C’est le double de travail d’un film normal. Comme il faut être d’une précision absolue, tout doit être pensé en amont parce qu’on ne peut pas se permettre dans le champ de la caméra une antenne ou un quelconque anachronisme, même si aujourd’hui avec le numérique on peut effacer beaucoup de choses. Toutefois, ces contraintes peuvent amener à une stylisation. Pour moi, un film c’est de la mise en scène. C’est comme dans la littérature, ce qui différencie Proust d’un autre écrivain, c’est le style. La façon dont le film est fait est tout aussi importante que le sujet. Il me semble qu’aujourd’hui on a un peu d’uniformisation des choses, on fait sans trop se creuser… Quand je vois des films vraiment mis en scène, cela me rend heureux parce que je peux voir l’esprit de quelqu’un. Je trouve qu’en cela mon travail sur Violette est plus abouti parce que j’ai travaillé avec un chef opérateur, Yves Cape, avec lequel je me suis vraiment très bien entendu. Quand on a trouvé son complément, son partenaire, il se passe quelque chose. Et je sais que le miracle a eu lieu sur ce film.
Comment écrit-on à plusieurs ?
J’écris toujours mes scénarios avec Marc Abdelnour, on se connaît de A à Z et on travaille toujours de la même façon. Là, il y avait aussi René de Ceccatty, qui a une connaissance absolue de l’oeuvre de Violette Leduc et de Simone de Beauvoir, et qui est un très grand intellectuel, ce que je ne suis pas. Il me fallait quelqu’un de très éclairé pour insuffler à notre scénario toute la connaissance de l’oeuvre. René a été extrêmement présent dans la première étape de l’écriture du scénario, et dans la structure du film.
A propos de structure, le chapitrage comme un roman est très intéressant et fait sens.
Il est arrivé en toute fin de parcours parce que cela permettait des ellipses et des respirations. J’aime les fondus au noir, j’aime les temps dans les films. Et il nous a semblé intéressant de construire le film comme un livre, avec des chapitres ‒ il y en a sept ‒, menant à La Bâtarde, oeuvre cathartique grâce à laquelle tout s’éclaire pour Violette, où la vérité et son émotivité bloquée en elle explosent, ce qui lui permet de passer à l’étape suivante. Tous les personnages dans les autres chapitres sont les totems de sa propre construction et de sa problématique intérieure.
Vous réussissez à mettre en scène le processus de création par le biais de cette voix off, qui donne à voir (et à entendre) la retranscription artistique que Violette Leduc fait de sa vie.
Ce n’était pas facile à faire et à reproduire, parce qu’il fallait trouver la juste mesure. Avec Séraphine, j’avais les tableaux, je savais que ce serait très fort à l’image. L’image comme la photographie est toujours sublimée quand elle est filmée. Mais les textes ? Comment montre-t-on cela ? Je ne voulais pas de flash-back, mais je voulais entrer dans la matière des textes de façon organique, donc à travers l’image. On est avec Violette, on entre dans son mental et on traverse même l’imaginaire avec elle. Séraphine parlait avec son ange gardien ou avec la Vierge, c’était une âme simple. Violette est beaucoup plus compliquée, elle n’est pas naïve du tout, donc sa représentation du langage n’était pas simple à faire… J’ai essayé de montrer qu’on entrait avec elle dans un univers visuel. C’est pourquoi j’ai utilisé une caméra portée, on glisse avec elle dans les images.
Les citations sont dosées, elles n’assomment pas le spectateur mais arrivent au bon moment et sont éclairantes.
Au montage, on a vraiment travaillé ça. Cela a été très long parce qu’il fallait justement qu’il n’y ait aucune complaisance. Il faut être cruel avec soi-même quand on monte un film, il ne faut jamais se laisser aller. Je suis très féroce avec moi-même et j’aime ce travail de coupe, qui rappelle celui de l’écriture. J’ai beaucoup coupé ‒ le film durait 3 h 30 au départ ‒, même des scènes qui étaient très belles et très réussies, mais je ne le regrette pas.
Pour en terminer sur la technique, un mot sur la lumière, qui suit l’évolution du personnage…
Le départ est en effet très sombre, nous sommes dans l’ombre de Violette dans tout ce qu’elle contient. Violette Leduc était quelqu’un de geignard et de pénible. Emmanuelle disait : « C’est une attachiante. » C’est vrai. Elle est tout le temps en train de se plaindre parce qu’elle souffre. A travers son écriture, elle entame un dialogue avec elle-même qui la conduit à la lumière, jusqu’à cette lumière éclatante du Midi. On partage avec Yves Cape la même idée d’une esthétique du film, et comme il a totalement compris mon univers, il a accompli un travail extraordinaire pour montrer cette évolution.
Venons-en aux personnages, et aux angles que vous avez choisis. La mère que vous nous présentez n’est pas la terreur que décrit Violette Leduc dans ses textes. C’est votre interprétation ?
J’ai eu la chance de rencontrer la nièce de Violette Leduc, Claude Dehous, qui a été bouleversée par le film, mais qui m’a dit à la sortie de la projection : « Ma grand-mère n’était pas comme ça. » C’est vrai que sa mère est terrifiante dans tous ses livres, mais c’est ma façon de voir. Quand on lit la correspondance de Violette, on voit les lettres fondantes d’amour qu’elle a envoyées à sa mère à la fin de sa vie. Elle avait un énorme problème de reconnaissance, mais elle aimait sa mère et la mère aimait sa fille, très mal sans doute, mais elle l’aimait. Pour l’anecdote, elle ne voulait pas voir mourir sa mère, et elle a réussi puisqu’elle est morte huit mois avant elle… Je ne voulais pas une mère monstrueuse. Choisir Catherine Hiegel est déjà une façon de marquer le personnage ; Catherine peut être terrible, elle impose à la fois quelque chose de flamboyant et en même temps de féroce. Au début du tournage, Emmanuelle était impressionnée par Catherine, mais elles se sont immédiatement adorées et je pense que si elles ont pu aller aussi loin dans le jeu, c’est parce qu’il y avait cette affection-là.
Votre film est également un portrait en creux de Simone de Beauvoir. Vous nous donnez à voir une femme solitaire…
Cela m’avait frappé en lisant une biographie de Deirdre Bair. Elle parle beaucoup de la solitude de Simone de Beauvoir, qui est une partie d’elle que l’on connaît peu. Quand Sartre a commencé à batifoler ailleurs, même si elle a réagi, elle a souffert et a été longtemps seule avant de rencontrer Nelson Algren. C’est cette femme que j’ai voulu montrer, qui travaille beaucoup, qui est encore dans l’ombre de Sartre, et qui va petit à petit trouver avec Violette quelqu’un à épauler, à porter (comme Sartre avec Genet)… Et ce qu’il y a d’intéressant à montrer, c’est que si elle le fait c’est aussi parce qu’elle est seule et pas seulement par générosité.
A travers ces deux femmes si différentes, ce sont également deux styles littéraires qui sont mis en regard : Violette Leduc est charnelle, sensuelle, instinctive, animale, elle écrit avec ses tripes ; Simone de Beauvoir est froide, distante, purement intellectuelle, appliquée à sa table de travail…
Attention, Simone de Beauvoir est un grand écrivain, elle a écrit des oeuvres d’une grande beauté. Violette Leduc a un style baroque, c’est un écrivain organique, un poète. Elle a choisi la prose, ce qui a pu constituer un écueil, mais ce choix l’a fait exister à cette époque-là. Simone de Beauvoir l’a sans doute poussée également vers la prose. Mais ses livres sont des poèmes, sa langue est totalement poétique et inspirée. C’est toute la différence. Ce texte, qui sort comme ça, la sauve et la rend meilleure. C’est ce processus de création que je souhaitais montrer.
Vous dites que vous avez immédiatement pensé à Emmanuelle Devos pour incarner Violette.
Je pense que c’est une de nos plus grandes actrices, sinon la plus grande. De toutes les comédiennes, elle est au-delà. Comme Yolande Moreau, Emmanuelle est une actrice métaphysique, c’est très rare, il faut protéger ça. Il y a peu d’actrices avec ce registre tellement immense, ce recul, cet humour sur elles-mêmes, cette intelligence… Isabelle Huppert est de cet ordre-là. Quand je l’ai appelée pour lui demander si elle accepterait de s’enlaidir, d’être blonde et de porter un faux nez, elle a trouvé l’idée formidable ! Elle a tout de suite eu la réponse qu’il fallait, et c’est parti. Mais c’était il y a très longtemps, plus de trois ans ! Cela a été très long et très difficile de monter ce film, de trouver les financements…
Et c’est Emmanuelle Devos qui a pensé à Sandrine Kiberlain pour le rôle de Simone de Beauvoir ?
C’est exact, et je peux dire que Sandrine Kiberlain m’a scotché ! Quand Emmanuelle m’a parlé de Sandrine, j’ai été perplexe et me suis montré assez réticent. Emmanuelle a insisté pour que je la rencontre. J’ai été impressionné par son envie de jouer le rôle et sa détermination pour y parvenir. Sandrine m’a dit : « J’ai lu le scénario, je veux le faire et je vais tout faire pour y arriver. » Elle m’a regardé droit dans les yeux, j’ai vu que c’était vrai et j’ai dit « d’accord ». Et cela s’est fait comme ça, parce que je sentais que c’était important pour elle et que j’ai pensé qu’on allait y arriver ensemble. Et je trouve qu’elle est y arrivée magistralement ! Elle montre d’elle des aspects que l’on ne connaît pas, et une force incroyable, car Sandrine est très forte. J’espère vraiment que beaucoup de metteurs en scène vont lui proposer des choses puissantes parce que voilà aussi une comédienne qui peut développer son potentiel, qui est grand.
Un mot pour terminer sur les rôles masculins. Jacques Bonnaffé en Genet, quelle idée époustouflante ! C’est vrai qu’il ressemble à Genet !
Ben oui (rires) ! On se connaît bien avec Jacques, on est de vieux copains, et je savais depuis le début que Genet c’était lui. Et en plus, c’est vrai, il a la gueule de Genet !
Olivier Gourmet dévoile un peu plus encore l’étendue de sa palette, en incarnant Jacques Guérin, homme d’affaires homosexuel, amoureux des arts et mécène de Violette.
Voilà un immense acteur. Olivier Gourmet, c’est Gabin, c’est Raimu, il est de la trempe de ces acteurs-là. Il a accepté de venir dans l’aventure et cela a été un bonheur pour moi de travailler avec lui. C’est un acteur incroyable !
Vous travaillez à de nouveaux projets ?
Oui. Je prépare un film d’animation, tiré de Bifteck, un de mes romans, et j’ai également un autre projet.
Vous répondez à une imagination très fertile ou votre besoin d’écrire est-il constant ?
Ecrire est pour moi une absolue nécessité (sourire).