Esperluette | Sophie Loria

La Promesse verte

Edouard Bergeon

Pour son deuxième long métrage, Edouard Bergeon évoque le drame de la déforestation indonésienne et tient le spectateur en haleine par sa description ciselée des arcanes du pouvoir financier, du poids des lobbys et des secrets d’ambassade. Un thriller captivant.

Vous signez un thriller haletant.

 

On a mis trois ans à écrire le scénario. On ne s’était pas rendu compte tant que ça que ça allait être un thriller, en tout cas quand je le tourne, je ne tourne pas forcément un thriller. C’est au montage que cela s’est clairement dessiné. La musique de Thomas Dappelo, qui est un compagnon de route depuis quinze ans, y est également pour beaucoup. On voulait mettre le spectateur sous tension immédiatement. Sur deux heures de film, il y a une heure vingt de musique. Il a utilisé les gamelans, percussions indonésiennes, qui créent une atmosphère asiatique.

Il n’y a pas une scène gratuite et les allers-retours entre France et Indonésie sont très équilibrés.

C’était important pour moi de prendre le temps d’entrer dans les paysages, pour tomber amoureux de cette forêt primaire avant d’assister au spectacle de sa destruction. La forêt est indonésienne, l’orang-outang aussi ‒ j’ai eu la chance de le rencontrer. Tout le reste de la partie asiatique a été tourné en Thaïlande, pour des raisons pratiques parce qu’il y a une industrie cinématographique et des techniciens professionnels. Il n’y a pas de cinéma en Indonésie, et pas d’acteurs, tous les figurants sont thaïlandais.

On ressent particulièrement la chaleur dans les scènes en Asie. Les conditions de tournage ont-elles été difficiles ?

 

 

On a parfois ajouté de la vaseline sur les comédiens (vous pourrez demander à Alexandra !) pour bien voir que ça suinte, mais pour plusieurs scènes, ce n’était même pas la peine car nous avons tourné en mars/avril, et c’étaient les records de chaleur en Thaïlande. Il faisait extrêmement chaud, notamment durant la scène du tribunal, où il faisait 50 degrés, sans clim ! La Thaïlande, c’est dur parce que c’est chaque jour plus d’une heure de transport, avec les bouchons. On a tourné à Bangkok, qui est extrêmement polluée, du côté de Phuket pour les scènes de barge, et à Krabi où il y a des palmeraies et de la production d’huile de palme, dans des quantités bien inférieures à celle de l’Indonésie et la Malaisie.

Votre film est extrêmement documenté et d’une grande précision dans la description des différents milieux (ONG, ambassade, ministère…).

 

 

Je viens du journalisme et du documentaire. Les personnages sont des personnages de fiction, mais leur trajectoire est documentée et tout est vrai, Total, tout ce qui se passe en Indonésie, le projet d’amendement… Mon but est d’être crédible, c’est un cinéma du réel. Pour que cela sonne juste, j’ai été conseillé par des spécialistes, notamment des personnes qui avaient été en poste au Quai d’Orsay. Pour asseoir cette crédibilité, il était très important pour moi de pouvoir tourner au Quai d’Orsay, sous « les ors de la République ».

Vous évoquez la déforestation engendrée par la production d’huile de palme. Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter ce sujet ?

 

 

L’huile de palme, plus que l’alimentation, c’est beaucoup les voitures, le kérosène demain, la fameuse « électricité verte ». Tout est vert, donc tout va bien. En réalité, on détruit la forêt vierge ‒ une forêt vierge, c’est huit cents ans ‒, on libère une quantité de carbone énorme, l’huile est raffinée dans des usines là-bas,  et rapportée ici en tanker… Il n’y a vraiment rien de vert dans cette production.

Dans mon travail de journaliste documentariste, je voyais souvent la forêt, au Brésil, en Argentine, j’ai eu envie d’en parler. Et cela raconte aussi ce pour quoi les agriculteurs sont dans la rue : n’importons pas ce dont on ne veut pas ou que l’on fait chez nous et qui est produit à l’autre bout du monde sans les mêmes normes environnementales, sociales… Il y a plus de cinq ans, je tombe sur un papier de Libé où l’on voit des agriculteurs qui manifestent devant la raffinerie Total (les images sont dans le film), parce qu’ils avaient été encouragés, comme mon père, à faire du colza pour la production de biodiesel il y a trente ans. Et ils manifestaient parce que l’huile indonésienne à bas coût inonde le marché, sous couvert de carburant vert. La plus vieille raffinerie de France allait devenir une bio-raffinerie. En fait, ce film est dans la suite d’Au nom de la terre, parce que je parle d’une histoire agricole. J’avais également envie de faire quelque chose autour du lobbying.

Vous pensiez à Alexandra Lamy pour incarner cette mère courage dès l’écriture ?

 

 

Oui, parce que je voulais une comédienne populaire, une madame tout-le-monde. Elle vient de la campagne et de la télé, et moi je viens de la campagne et du journalisme télé. Alexandra dit qu’il n’y a pas de rôle pour les femmes de cinquante ans, c’est un beau rôle pour une femme de cinquante ans. Carole, son personnage, est dans la vie, dans le combat. C’est pourquoi Alexandra a voulu être dans la vie tout de suite, donc sans fioritures de maquillage ni sophistication vestimentaire.

L’autre combattantes est Nila, l’activiste, interprétée par Julie Chen.

 

 

 Aujourd’hui, ce sont souvent les jeunes femmes qui sont des lanceuses d’alerte. Je me suis inspiré de personnages réels, indonésiens dayak. Et je voulais qu’elle soit belle, mais sans désir de plaire et célibataire, car seuls comptent son combat, son peuple, sa forêt.

 

Félix Moati interprète le fils d’Alexandra Lamy.

 

Il n’était pas prévu que ce soit Félix Moati, je pensais d’abord à un personnage plus jeune. Et je suis ravi que ce soit lui parce que la trentaine d’années donne à Martin, son personnage, une épaisseur intéressante. C’est Félix qui a emmené le rôle là. Il fallait qu’il construise une relation mère-fils, les deux acteurs ont pris le même coach et je pense que cela a apporté quelque chose. Parce qu’en réalité, ils n’ont que cinq scènes ensemble, mais quand on la voit, on pense à lui  et inversement.

C’est un film choral où tous les rôles secondaires sont importants et jouent leur partition.

 

 

Sofian Khammes joue ce personnage trouble, comme tous les types de la diplomatie, qu’on ne remarque pas mais qui sont sur tous les dossiers. Son rôle est difficile parce qu’il n’a pas beaucoup de texte, il a beaucoup de scènes avec Alexandra, mais cela ajoute au côté trouble du personnage parce qu’on ne sait pas ce que cela va donner.

Pour incarner Manzoni, il fallait un théâtreux car le personnage a quatre minutes de monologue. Philippe Torreton est un métronome. Il n’a que deux scènes, mais cela a été une master class ! Il a construit son personnage autour de Michel Charasse, les bretelles, la Françafrique…

Une fois incarcéré, Martin est totalement passif. Il me fallait donc un personnage pour créer un échange avec lui. J’aime beaucoup le personnage de Peter, son codétenu. Adam Fitzgerald est australien, c’est son premier film. Il m’a tellement ému au casting… Petit secret de tournage, la chanson n’était pas au scénario, c’est lui qui l’a apportée. On s’attache beaucoup à ce personnage, qu’on trouve pourtant désagréable au départ.

On ne peut pas se quitter sans dire un mot de la colère des agriculteurs qui monte.

 

 

Il va falloir qu’il y ait des choix politiques, est-ce qu’on aide les gens à produire bien ou pas, pour que les gens mangent bien ou pas. Si on veut produire pas cher, il faut une agriculture intensive, industrielle avec de la chimie, on ne peut pas faire autrement. Si on veut bien produire, ce qu’on sait faire, il faut aider l’agriculture biologique. Produire bio, c’est moins de rendement et plus de vulnérabilité. Les Français aiment leurs agriculteurs, mais ils ont une image très fantasmée de l’agriculture qu’ils voudraient mais qui n’existe plus parce que personne ne revient à la terre. Des solutions existent, mais il va vraiment falloir aider les agriculteurs.